Après Trois mille chevaux vapeur, où Antonin Varenne donnait à Arthur Bowman une forte carrure d'aventurier, voici Équateur où l'on suit les aventures de Pete Ferguson qui n'est pas un héros aussi admirable que son prédécesseur. Il serait même parfois quelqu'un de détestable, et, conséquence regrettable, on n'accroche pas vraiment à ses aventures durant le premier tiers du roman à travers un Midwest où courent encore des bisons et des Comanches.
La suite, loin des États-Unis, m'a paru bien plus attrayante et plus riche. Gravir un temple maya caché dans la forêt épaisse, rencontrer des chercheurs d'or en Guyane, et un tatoueur émérite au milieu d'anciens forçats, voilà qui pimente un récit ! C'est sans doute la grande variété de ces situations qui amène le lecteur jusqu'au terme du roman, plus que l'intérêt pour le héros lui-même.
Revenons à l'intrigue. À l'époque de la guerre de Sécession, Pete Ferguson avait quitté sa ferme natale dans l'Oregon en compagnie de son frère pour échapper ensemble à la conscription. Ils furent hébergés par Alexandra et Arthur Bowman dans leur ranch. Déserteur, accusé de meurtre, incendiaire, Pete s'enfuit seul de Carson City. En découle une longue errance à travers une immensité où l'on chasse encore les bisons pour leurs peaux tout en évitant les Indiens. Un meurtre dans les Plaines, un autre au sud du Rio Grande : la cavale n'en finit pas. Voilà notre homme embarqué au Guatemala dans un projet de révolution piloté par un poète et c'est encore la fuite, maintenant avec Maria, une Indienne xinca souvent mutique. L'aventure se poursuit en mer puis à Cayenne et jusqu'en Amazonie là où passe cet Équateur dont Pete Ferguson rêve depuis un feu de camp au Texas. Mais la quête de Ferguson n'aboutit pas à sa délivrance, à la libération de son passé. Elle n'est qu'une suite de déceptions et de ratages. Un naufrage, symbolisé par celui du bateau qui l'a mené à travers la mer caraïbe.
Une telle accumulation de malheurs ne devrait-elle pas conduire à éprouver de la sympathie pour un aventurier de cette envergure ? C'est que ses malheurs découlent surtout d'une faiblesse morale : il n'a pas bougé quand son père s'est pendu au fond d'une grange à Basin, Oregon. Ce péché originel, rien ne peut l'effacer, le guérir. D'ailleurs le jésuite rencontré au Guatemala a lui-même perdu la foi. Cette fêlure reparaît dans les lettres que Pete Ferguson s'invente, supposant des courriers expédiés par son frère Oliver, par ses parents décédés, ou encore par Alexandra qui l'avait hébergé au ranch Fitzpatrick.
Cet Équateur qu'il ne franchit pas, et où il n'est plus qu'un moribond, le renverra pourtant vers Carson City. Ce ne sera pas de son fait. Ni la foi ni les œuvres : il s'est fui lui-même et on le sauvera malgré lui. Ferguson atteint ainsi la posture d'un héros mythologique, un jouet du destin. Pas vraiment la carrure d'Arthur Bowman il me semble...
• Antonin Varenne. Équateur. Albin Michel, 2017, 339 pages.