Les déodars sont les cèdres de l'Himalaya. Les huit nouvelles nous emmènent à Simla, station d'altitude et résidence d'été fréquentée par les militaires et les fonctionnaires britanniques au temps de l'Empire des Indes, et pour certains, « le seul endroit de ce pays désolé où la vie vaille la peine d'être vécue. » En cette fin du XIXe siècle, loin de Calcutta alors capitale de l'Empire des Indes, le temps s'écoule entre galanteries, promenades et mondanités si l'on en croit Kipling qui séjourna à Simla à l'été 1883.
L'éducation d'Otis Yeere. « Cette histoire est celle d'un insuccès » prévient l'auteur. Deux amies et femmes du monde, Lucy Hauksbee et Polly Mallowe échangent des confidences et l'une d'elles étale ses intentions pour la saison.
« Je jouerai, je danserai, je chevaucherai, je flirterai, je ferai des cancans, je dînerai en ville, je m'approprierai les prisonniers légitimes de toutes les femmes qu'il me plaira, jusqu'à ce que je tombe, ou qu'une femme plus forte que moi me confonde devant tout Simla, et ma bouche ne sera plus que poussière et cendres avant que je capitule ainsi. »
Elle jette son dévolu sur un homme déjà usé par dix ans de service civil au Bengale, c'est Otis Yeere. Bientôt la voici triomphante et le voici « attaché par les mains et les pieds aux roues de [sa] voiture. » Mais il s'intéresse peut-être davantage à la tribu des aborigènes Gullals du Sikim qu'à une conquête féminine et il ne tient pas vraiment à ce que Lucy le suive à Darjeeling. Un bouquet de roses conclut l'histoire.
A l'entrée de l'abîme. Une femme mariée fréquente un jeune homme qualifié de « tertium quid ». La femme, insouciante, ne craint pas le qu'en-dira-t-on, cependant ils se donnent rendez-vous dans un cimetière. Au cours d'une promenade sur l'étroite route du Tibet, il s'en suit une fin tragique pour le jeune homme.
Une comédie sur la Grande Route. Dans une petite station isolée à la saison des pluies par la crue du fleuve, il convient « que tout le monde soit en relations amicales ». Or, quand débarquent les époux Vansuythen, le capitaine Kurrell délaisse son amie Emma Boulte à cause des beaux yeux de la nouvelle voisine. Et Boulte lui en veux : « Vous êtes un gredin (…) mais quand vous êtes avec moi, je suis certain que vous n'êtes pas à faire la cour à mistress Vansuythen ou à rendre Emma malheureuse. » Il ne faut pas casser les petits accommodements !
La Colline de l'illusion. Deux jeunes britanniques filent le parfait amour. Ils projettent d'aller à Bombay prendre le « steamer » pour Rome et y vivre « dix semaines de lune de miel ». Leur départ incognito devrait faire jaser le beau monde à Simla. Mais le doute survient pour elle...
Une Femme de deuxième catégorie. Deux ans après l'histoire d'Otis Yeere on retrouve les dames Hauksbee et Mallowe en plein papotage sur Shady Delville qui danse et s'habille si mal qu'elles l'appellent le Paquet. Celle-ci est attiré par Bent car « le but qu'il poursuit vainement dans son existence est de persuader aux gens qu'il est célibataire ». Elles le surnomment le Maître de danse. Mais quand Mrs Bent les rejoint à Simla avec sa petite Dora tombée malade de diphtérie, c'est l'intervention de cette fichue Shady Delville qui sauve l'enfant en devançant le médecin local. Les deux mégères qui persiflaient tant sont forcées de changer d'avis sur “le Paquet” !
Rien qu'un petit officier. « Tous les jeunes gens s'en vont dans l'Inde chercher fortune ». Bobby Wick est affecté en Inde, comme son père qui y a passé trente ans de service au régiment des Queues-Tortillées, « le plus admirable des régiments qu'il y eût dans les limites des Sept mers ». Quand le choléra atteint le régiment, Bobby doit quitter la femme rencontrée à Simla et avec qui il entretient une correspondance, ce qui lui donne l'énergie pour faire son travail. Mais il meurt de l'épidémie.
Le Rickshaw fantôme. Le médecin livre les confessions de Jack Pansay, fonctionnaire au Bengale : « Il y a deux mois, j'étais l'homme le plus, heureux de l'Inde. Aujourd'hui il n'est pas, de Peshawar jusqu'à la mer, un homme qui soit plus misérable. » Sur le steamer venant d'Angleterre Jack a rencontré Agnès Keith Wessington, une femme mariée. Quelques mois plus tard ils se retrouvent à Simla où il décide de rompre malgré son insistance. Deux ans plus tard Jack s'est fiancé à Kitty. Or son bonheur est régulièrement troublé par Agnès qui ne cesse de passer en rickshaw là où il se promène avec Kitty. Affligée, Agnès meurt peu après. L'été suivant alors que Jack et Kitty préparent leur mariage, le rickshaw à caisse jaune apparaît encore et encore avec à son bord le fantôme d'Agnès qui crie à Jack son attachement. Troublé il tente de s'expliquer mais Kitty lui donne un coup de cravache et le quitte. Les hallucinations de Jack ne cessent pas. Ses visions se poursuivent jusqu'à la folie et sans doute jusqu'à la mort.
Mon histoire vraie de fantôme. Des simples bungalows aux riches palais, il y en avait partout en Inde. Au retour de Simla, le narrateur a rencontré la sienne en faisant étape au bungalow miséreux d'un relai, hébergé par un vieux serviteur qui avait travaillé pour un sahib défunt depuis des années et qui l'abreuve d'anecdotes. Les palmiers arack bruissaient dehors «... et le vent commençait à dire des bêtises ». La nuit le bruit de boules de billard s'entrechoquant sortaient de la pièce d'a-côté : mauvaise nuit pour un voyageur solitaire.
• Rudyard Kipling. Sous les déodars. Traduction d'Albert Savine, Stock, 1910, 305 pages. (Under the deodars, 1888). – Dans certaines éditions anglaises les deux derniers textes diffèrent. La collection 10/18 en a publié en 1980 une version intitulée “Sous les cèdres de l'Himalaya”. La présente couverture est celle de l'édition Rastro Digital de 2016.