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Sociologue spécialiste de la santé mentale, A. Ehrenberg signe un nouvel essai de haute volée scientifique, exigeant et éclairant. Il interroge les neurosciences cognitives qui sont en passe de devenir «  le baromètre de la conduite de nos vies ». Elles se veulent une « biologie de l’esprit » et prétendent soigner les pathologies mentales et neurologiques aussi bien que résoudre les problèmes d’éducation ou de consommation en explorant le cerveau. Celui-ci, selon le « mantra » de la « tribu » des neuroscientifiques, comme les qualifie l’auteur, serait « l’objet le plus complexe qui ne peut être partie d’un tout ».

— Peut-on réduire l’homme à son cerveau ?

A. Ehrenberg cherche à comprendre jusqu’à quel point nos pensées, nos émotions, nos comportements dépendent des seuls mécanismes cérébraux. Car, d’après M. Mauss, « il n’y a pas d’intervalle entre le social et le biologique ». L’auteur prouve qu’en réalité il existe bien des connexions entre les concepts scientifiques des neurosciences et les idéaux sociaux ; il dénonce le réductionnisme des neuroscientifiques : le biologique et le social, nature et culture, demeurent intriqués.

Les media ne montrent guère l’intention cachée des neurosciences, très liées à l’évolution de la société qui, depuis les années 1970, favorise l’initiative, l’innovation et la créativité. Elles ont du succès car elles répondent au besoin moderne d’autonomie et servent à promouvoir les bons comportements sociaux. Dans notre société désormais fondée sur la confiance plutôt que sur l’obéissance, il est nécessaire de réguler les conduites et les émotions en généralisant l’autocontrôle. Tout individu  est par principe en capacité de s’accomplir, même atteint d’un handicap tel l’autisme d’Asperger. Les neurosciences aident à transformer tout handicap en atout, à socialiser son mal ; c’est « l’idéal du potentiel caché » : chacun, handicapé ou non est l’agent de son propre changement et détient, dans son cerveau, les ressources pour aller mieux. C’est l ’objectif des neurosciences cognitives : partant de la plasticité cérébrale illimitée, de la capacité du cerveau à se modifier de lui-même toute sa vie, chacun peut améliorer sa maîtrise des idéaux sociaux fondamentaux : la régularité, l’habitude, la confiance et l’empathie comme si le social était interne au cerveau ! Nul ne serait plus victime d’aucun déterminisme ! C’est bien promouvoir les comportements coopératifs nécessaires à le neuroéconomie..

Or A. Ehrenberg démontre que ces sciences idéalisent leurs concepts biologiques : car le cerveau seul ne peut agir. On sait que c’est l’apprentissage qui modifie nos connexions neuronales et non l’inverse, comme l’a formulé Norbert Elias : « le processus naturel de maturation humaine et le processus social d’apprentissage (...) se présupposent l’un l’autre ».

Réduire l’esprit au cerveau a ses limites ; en fait, les neurosciences cognitives reprennent en langage scientifique les affirmations des autres sciences, comme la psychanalyse, la psychologie, la sociologie. Certes elles prétendent démontrer « la puissance causale du cerveau » ; mais c’est la vie sociale qui lui permet de mettre en oeuvre ce qu’il est capable d’envisager.

Le destin de l’homme neuronal demeure bien l’homme total envisagé par M. Mauss, en qui tout s’intrique, l’inné et l’acquis, le biologique et le psychologique.

 

Alain Ehrenberg. La mécanique des passions. Cerveau, comportement, société. Odile Jacob, 2018, 334 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #PSYCHOLOGIE, #ESSAIS
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