Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Au cœur de la Belle Epoque, l'Empire du Milieu aiguise les appétits impérialistes... Alors que la France venait de s'emparer du Tonkin, Auguste François (1857-1935) fut envoyé en 1886 comme consul à Longzhou dans la province du Guangxi qu'il est alors question de relier à Hanoï par une voie ferrée. Celle-ci ne se fera pas mais dès ce premier poste on assiste à l'opposition du consul aux visées expansionnistes, alors brandies par Paul Bert l'éphémère Résident général mort du choléra cette même année. Une décennie plus tard, en décembre 1898, alors que Paul Doumer est devenu le gouverneur général de l'Indochine, un consortium bancaire comprenant la Société Générale, la Banque de l'Indochine et le Crédit industriel et commercial lance le projet d'une voie ferrée joignant Laokay au Tonkin à Yunnanfu — aujourd'hui Kunming — ligne qui sera achevée en 1910, cinq ans après le départ du consul de ce second poste dans la capitale du Yunnan.

 

Quel est le rapport entre un consul et un chemin de fer ? Consul général en mission spéciale Auguste François a donc été renvoyé en Chine, à Yunnanfu, et il a rejoint son poste le 1er octobre 1899. Cette mission un peu hors norme consistait à faire avancer le projet ferroviaire et s'assurer de sa construction en liaison avec les autorités locales. Sa position l'exposait à de multiples critiques et il ne voulait pas s'en laisser compter.

 

Le consul s'oppose au « parti colonialiste » que l'auteure dépeint comme un gang dangereux, dirigé sur place par Paul Doumer depuis Hanoï avec l'intention de conquérir la Chine. De passage à Rouen en 1901, ce dernier s'était laissé aller à dire : « L'Indochine ne compte pas ; c'est une base d'opérations. Préparons la guerre ». Le gouverneur (qui sera élu Président de la République en 1931) relaie sur place l'idéologie coloniale dans un contexte international marqué par des rivalités entre la France et l'Angleterre, et en Chine par une instabilité politique. Héritières des Pavillons noirs, des bandes armées sillonnent ces régions frontalières : des troupes françaises pourraient donc entrer en Chine en cas d'incidents contre des Français et des missionnaires occidentaux. La guerre des Boxers se répercute ensuite dans la région avec des poussées de xénophobie et l'action des sociétés secrètes. Le lobby colonial souhaite une intervention militaire dans le sud de la Chine pour séparer les deux points d'appui de l'influence anglaise : Hong Kong et la Birmanie. La ligne de Yunnanfu serait ainsi une remarquable voie de pénétration dans l'Empire du Milieu. Mais par son action soucieuse de droit et de justice, selon l'auteure, Auguste François « épargna à la France une guerre » de conquête à l'issue bien incertaine.

 

Le consul François s'oppose aussi au mauvais usage de l'argent public. Comme la colonie tire une bonne part de ses ressources du monopole de l'opium, elle est assez riche pour que Doumer puise dans ses ressources pour favoriser le parti colonial. Tandis que la société chargée de construire la ligne et généreuse avec les frais d'études choisit d'abord un tracé que le consul juge impossible à finaliser, il en vient à redouter que l'Etat soit obligé de l'indemniser (comme cela avait été le cas pour le projet de ligne de Longzhou). Le manque de rigueur chez les autres est la bête noire d'Auguste François. Les dissensions entre ministères et les empiètements du ministère des Colonies sur les attributions des Affaires Etrangères l'exaspèrent constamment. « Ce ministère des Colonies est le ministère des déchets métropolitains » va jusqu'à écrire le consul désabusé.

 

Lui qui entretient généralement de bonnes relations avec les autorités chinoises, et avec Wang le banquier le plus riche du Yunnanan, il multiplie auprès du Quai d'Orsay les rapports et les plaintes relatives au comportement des diplomates, des chargés de missions, des ingénieurs et des entrepreneurs venus de métropole ou d'Italie. Par son entêtement, Auguste François, qui n'a pas souhaité appartenir à la franc-maçonnerie qui réunit les élites de la colonie, n'hésite pas à se mettre en marge de ceux qui perçoivent la Chine du Sud « comme un Eldorado ». Les milieux d'affaires français et étrangers sont effectivement fort intéressés par les concessions ferroviaires. Il est aussi question d'exploitations minières, bien que l'Etat chinois les ait sous son contrôle. Certaines personnages du monde de l'économie sont mis en lumière par cette étude pointilleuse : le soyeux lyonnais Ulysse Pila, le comte Georges Vitali actif dans la réalisation de voies ferrées en Europe et dans l'Empire ottoman avec l'ingénieur Otto van Kapp. On y rencontre aussi des aventuriers comme Jules Courtellemont — le premier Français à entrer dans La Mecque en 1894, venu au Yunnan pour soulever les musulmans de l'empire en faveur de la France au motif qu'il y avait déjà eu une rébellion musulmane au Yunnan de 1856 à 1873 ! 

 

Ce livre s'adresse en priorité à qui s'intéresse à l'époque coloniale, à “l'ouverture de la Chine” selon l'expression d'alors, aux diplomates et aux milieux d'affaires de la Belle Epoque.

 

• Désirée Lenoir. Le Consul qui en savait trop. Les ambitions secrètes de la France en Chine (1886-1904). Nouveau Monde éditions, 2011, 431 pages.

 

Tag(s) : #ESCLAVAGE & COLONISATION, #CHINE, #YUNNAN, #BELLE EPOQUE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :