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Horace, Juvénal... Les auteurs de satires se moquent d'eux-mêmes autant que de la société qui les entoure et l'Arioste ne s'écarte pas du modèle.
Dans chaque texte l'Arioste s'adresse à un destinataire précis, mais uniquement des proches : ses frères Alessandro et Galasso, ses cousins Annibal et Malaguzzi, Pietro Bembo un humaniste de ses amis. La dernière s'adresse à Bonaventura Pistofilo, chancelier du duc Alphonse d'Este dont l'Arioste est devenu l'employé — on n'ose dire le protégé — après son refus de suivre à Budapest le cardinal Hippolyte d'Este qu'il avait servi quatorze ans.
Dans ces satires constituées de tercets, (rimant en a/b/a puis b/a/b) on découvre un homme au caractère bien affirmé, et qui ne semble pas vraiment emprunter les habits de courtisan. Pour expliquer son refus de suivre le cardinal jusqu'en Hongrie il additionne les bonnes et les mauvaises raisons comme sa santé fragile ou le froid terrible qu'il suppose régner là-bas, « sous le pôle » (« sotto il polo ») ! Pour refuser d'être nommé ambassadeur de Ferrare auprès du pape Léon X il n'a rien trouvé de mieux que de citer les personnalités dont le décès a suivi de peu les faveurs du pontife !
L'Arioste affirme son attachement à sa famille (il est l'aîné de dix enfants), à la simplicité, et à la frugalité. Le cousin qui a décidé de se marier doit chercher une épouse avenante et jolie mais pas trop pour qu'elle n'ait pas de galants à sa porte, et qu'elle ne passe pas son temps à se maquiller avec des onguents fabriqués par des juives ; bref plutôt une bonne ménagère qu'une aristocrate dépensière. L'amour du pays natal et d'une vie sédentaire fait aussi partie des valeurs dont l'Arioste s'estime porteur. «... Le reste de la terre, je le visiterai sans jamais payer l'auberge, avec Ptolémée, que le monde soit en paix ou en guerre. Sur les cartes, bien plus en sécurité que balloté sur un navire, je verrai toutes les mers, sans avoir à faire de vœux lorsque le ciel flamboie d'éclairs ». Sa province (Reggio, Ferrare) est « son nid » ; l'idée court de la 1ère satire (le refus de suivre le cardinal en Hongrie) à la 7ème (le refus d'aller à Rome) où il formule le souhait de quitter cette maudite province de Garfagnana, tout au nord de la Toscane, où le duc l'a envoyé remettre un peu d'ordre et de légalité dans un territoire livré aux bandits, pour enfin revenir à sa maison de Ferrare et vivre auprès d'Alessandra Bonucci et se consacrer au théâtre et à son Orlando furioso.
En ces temps de Réforme, la critique de l'Eglise, des papes, des cardinaux et des prêtres n'est pas absente. « Si tu me demandes pourquoi j'aime tant mon nid, je ne te le dirai pas plus volontiers que je ne confesse mes fautes à l'abbé… » Les prêtres se voient accusés de chercher à séduire les trop jolies paroissiennes et les cardinaux deviennent synonymes d'arrivisme et de course aux honneurs. L'Arioste se garde de tant de vanité et la Roue de la Fortune, dixième arcane du Tarot, lui sert à évoquer la fragilité des honneurs même accordés par le Pape.
On découvre ainsi un homme de la Renaissance, nourri de belles lettres — principalement de poètes latins — et qui entretient des relations avec nombre d'humanistes. Pour que Virginio, son fils préféré né en 1509, et déjà bon latiniste, puisse apprendre le grec, il recherche un professeur idéal par l'intermédiaire de Pietro Bembo. En même temps l'humour n'est jamais loin. Citant plusieurs hellénistes, l'Arioste fait la liste de ses exigences : que ce pédagogue ne soit ni sodomite, ni ivrogne, et il semble que le choix sera difficile ! On ne connaît pas la réponse de Pietro Bembo... De même, quand il refuse le poste d'ambassadeur de Ferrare à Rome, il énumère les noms d'érudits en compagnie de qui il aimerait musarder dans Rome et songer aux Muses.
Cette édition bilingue est suffisamment enrichie de notes claires par les soins de la traductrice que c'est un régal de relire ou de découvrir ces sept satires de l'Arioste composées entre 1517 et 1524.
• Ludovico Ariosto. Satires. Traduit par Béatrice Arnal. Editions Sulliver, 1997, 170 pages. En couverture : portrait de l'Arioste par le Titien
(Il en existe une autre édition, aux Belles Lettres, dans la traduction de P. Larivaille, 2014).