Une vaste bâtisse de style colonial, une vieille famille de notables déchus, une crise qui ne prend que quelques jours : on a peut-être déjà lu cela. Mais avec ce roman de 1967 Erskine Caldwell montre son savoir-faire pour terminer en tragédie une histoire souvent cocasse qui passe par plusieurs scènes de pure comédie. Nous sommes près d'Augusta, en Géorgie. Aimée Mangrum, veuve d'environ soixante ans, règne en matriarche sur une grande tribu désœuvrée qui, même élargie, n'arrive pas à occuper les vingt-huit pièces de son immense demeure.
On est d'abord reçus par Marthe Washington, restée l'unique domestique en charge de tous ces commensaux ; elle a préféré loger ailleurs et se remonte le moral en écoutant les prêches du pasteur King. Autour d'Aimée, très autoritaire au point de retirer sans prévenir tel ou tel meuble ou objet des chambres que les autres occupent, Caldwell a imaginé une série de personnages profondément différents les uns des autres à ceci près que tous sont des parasites qu'elle entretient. Russell, son beau-frère, a épousé depuis huit ans Katie Snoddyhouse qui a mis une tringle à rideaux au milieu du lit conjugal ce qui indique plutôt bien le style de leurs relations ! La belle Velma, l'une des filles d'Aimée, a épousé un guitariste, Woody Woodruff, également parolier et principalement occupé à composer des chansons ironiques sur la famille et sa belle-mère qu'il a baptisée Miss Mamma Aimée ! Le troisième homme présent aux côtés d'Aimée est son fils Graham, il est malheureusement très jaloux, violent et demeuré ; il a jadis violé une gamine noire, mais parce qu'il appartient à une vieille famille blanche il a évité la prison et l'internement psychiatrique.
Deux membres de la famille n'habitent plus au domaine Mangrum. Connie, l'autre fille d'Aimée, privée d'études supérieures par sa mère, est devenue prostituée de luxe à Savannah — ce que sa mère ne sait pas encore ou ne veut pas savoir. Son fils préféré, James, est le seul a avoir fait des études supérieures et il est installé comme médecin à Atlanta, loin du domaine familial. Et ce fils, Aimée regrette bien que son métier le tienne éloigné d'elle. Aussi quand elle rencontre le jeune “pasteur” Raley Purdy, qui rêve de fonder la secte de l'Église de l'Être Suprême, et qui ressemble tellement au fils préféré, Aimée ne peut s'empêcher de sympathiser au point de l'inviter à s'installer chez elle, et à le pousser dans les bras de... ses filles, car, le jour même où le “pasteur” s'installe chez Aimée, voilà comme par hasard Connie qui débarque. La fermeture du club très fermé où elle officie est l'unique raison de sa présence soudaine dans la grande maison. Si l'on ajoute qu'Aimée n'a plus d'argent et que son conseiller financier l'adjure de vendre le domaine et les terres à des entrepreneurs qui rêvent de centres commerciaux et de lotissements, voilà à peu près réunis les ingrédients qui, de scène hilarante en scène scandaleuse, vont mener au drame. Et quand Marthe Washington rend son tablier les choses s'accélèrent...
• Erskine Caldwell. Miss Mamma Aimée. Traduit par Marie Tadié. Albin Michel, 1970, 250 pages.