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Soit trois amis, Carlo, Nino et Enrico, qui ont achevé leurs études secondaires à Gorizia en 1907. Ils lisent Schopenhauer, découvrent Ibsen et Tolstoi. Le roman se focalise sur l'histoire d'Enrico Mreule né en 1886 dans une famille aisée de la bourgeoisie locale.

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Son ami Carlo Michelstaedter fait figure d'idole car il s'est lancé dans l'étude des penseurs grecs — ils en ont discuté ensemble dans sa mansarde —  et il a soutenu une thèse qui sera publiée seulement après son suicide en 1910. À cette date Enrico a fait un autre choix, un choix contraire à son ami philosophe. De même qu'il n'a pas répondu à l'invitation de Tolstoï qui prêche d'abandonner les biens matériels pour le rejoindre, et qu'il s'éloigne de ses amis de jeunesse y compris de Paula, la sœur de Carlo avec qui il aime faire de l'équitation. Le 28 novembre 1909, il a embarqué pour l'Argentine afin de fuir l'armée « k.u.k » c'est-à-dire impériale et royale pour une autre raison que politique : quoique triestin il n'est pas de ces irrédentistes qui salueront Vittorio Veneto. « Au fond, le service militaire lui est insupportable à cause du col serré de l'uniforme et plus encore à cause des bottes, lui qui dès qu'il le peut va nu-pieds ». Mais l'Argentine s'avère une impasse : Enrico, qui dédaigne donner des cours à l'association Dante Alighieri, quitte Buenos Aires et perd plusieurs années à élever des chevaux de la Pampa à la Patagonie avant que Nino ne vienne l'extraire de son expérience insignifiante. « Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu rester simplement ensemble à discuter dans la mansarde, au besoin sans écrire, au besoin sans que même Carlo écrive ? »

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Enrico rentre à Trieste en 1922 et après quelques années d'enseignement au séminaire se retire sur la côte de l'Istrie, devenue italienne et y reste, une guerre plus tard, quand elle devient yougoslave. Dès lors ce qui avait été une fuite devient un détachement, un détachement du monde des hommes. « Quelqu'un, il ne sait plus qui, lui a suggéré d'écrire ses mémoires, mais ça ne lui dit rien, ses souvenirs sont pour lui et en faire cadeau aux autres ce serait de l'esbroufe, comme la manie tolstoïenne de tout donner aux pauvres. Parfois il lui semble que ça lui plairait quand même de les écrire, ses mémoires, mais comment pourrait-il le faire, il faudrait avoir plus de tranquillité, être sûr que personne ne va venir frapper à sa porte.»  Enrico décline les possibilités : de continuer à enseigner, de satisfaire une épouse (elle le quitte), de retrouver Paula devenue veuve, de s'engager (ni fasciste, ni résistant, ni communiste). Décrocheur, « intellectuel déserteur » comme suggère la prière d'insérer, il ne s'attache qu'à la mer qu'il contemple, en barque ou assis sur le littoral. La mer c'est l'Adriatique contemplée depuis la côte d'Istrie. À quelle « autre mer » le titre renvoie-t-il ? À une mer intérieure de calme, de retrait du monde en échange d'une vie de dépouillement et même de misère matérielle. L'auteur montre à merveille cette tentation du refus du monde en même temps qu'il fait défiler sous nos yeux le passage du temps sur Trieste et ses environs, sur une ville et des habitants bien réels même si l'étiquette de roman s'affiche sur ce livre plutôt que celle de récit.

 

• Claudio Magris. Une autre mer. Traduit par Jean et M.-N. Pastureau. L'Arpenteur, 1993, 136 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
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