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Erskine Caldwell a connu le succès avec des romans, La route au tabac (1932), Le petit arpent du Bon Dieu (1933) et Un p'tit gars de Géorgie (1943) qui s'apparente à un recueil de nouvelles. Caldwell enthousiasma tellement le lecteur français de l'après-guerre par le caractère fruste de ses personnages paumés et son écriture dépouillée et directe qu'il n'est pas infondé de vouloir connaître son premier roman publié en 1929 à la veille du krach boursier et de la grande crise. Le Bâtard n'a été traduit en français qu'en 1982 pour les éditions Belfond avant de reparaître récemment dans leur collection Vintage.

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L'intrigue consiste en quelques années de la vie de Gene Morgan, un jeune à la dérive, né de père inconnu et d'une danseuse de hoochie-coochie et prostituée de bas étage, d'où le titre, au sens premier. « Gene savait que sa mère était une putain » annonce l'incipit. Abandonné, Gene a été élevée par une pauvresse et devenu adulte il a voulu revoir sa génitrice. « La première fois qu'il se rappelait l'avoir vue, sa mère dansait dans un strip-tease minable de Philadelphie ». Après quoi Gene fait divers métiers dans des petites villes du Sud, comme Lewisville, travaille dans une huilerie, une scierie, ou conduit des camions. En même temps, Gene, comme les gens qu'il fréquente, nous surprend par sa brutalité. Cela donne l'image d'une société minable et violente, pauvre au plan matériel et moral. Au premier chapitre, Gene tue sans hésiter un homme qui se vante d'avoir bien connu sa mère et lui montre sa photo nue. Le reste du livre en est comme conditionné : Gene se meut uniquement dans un univers de passions sans frein, de violence physique et de désirs charnels sans le moindre romantisme.

Une note de Caldwell jointe en postface par l'éditeur montre qu'il avait conscience de participer, avec les jeunes écrivains de sa génération à une période de « mutation littéraire » rompant avec le « romantisme irréel de jadis » pour faire place à des « réalités sociales moins idylliques. » Roman réaliste donc, et même tragique, mais aussi grotesque et parfois ironique, comme certains épisodes l'illustrent, impliquant souvent le désir érotique et la vie sexuelle des personnages.

Gene rencontre d'ailleurs ces problèmes sur son lieu de travail. Les ouvriers de l'huilerie se cotisent pour faire venir dans leur hangar une danseuse : « Elle n'était pas encore nue que déjà le hangar vibrait sous le tapage ». De peur de transmettre une sale maladie, le veilleur de nuit de l'usine, Froggy demande à Gene d'engrosser son épouse, contre cent dollars. « Ma femme et moi , on veut un gosse » se justifie-t-il. Mais le moment venu, Froggy change d'idée. Gene réagit violemment. « J'l'ai balancé en bas à coups de pied. J'y creuserai un trou demain matin » annonce-t-il en retournant dans la chambre.

Une grand partie du roman repose sur le séjour de Gene dans la famille Hunter où il a pris pension. Jim le père dit le Shérif possède une petite scierie et son fils John travaille avec Gene. Tous fréquentent le bordel que tient Sook quand ce n'est pas Sook et ses filles Flo et Rose qui s'invitent chez les Hunter. Un jour que le Shérif rentre d'Atlanta accompagné d'une nouvelle amie appelée Kitty, Sook verse dans une jalousie irrépressible : « J'la farcirai tellement de plomb qu'il faudra dix costauds pour la faire rouler dans sa tombe ! » Au moment où Kitty séduit Gene et trompe Jim au vu de tous, ce dernier succombe. Ses obsèques sont un moment d'humour féroce : le prêtre prend Sook pour la veuve alors que Kitty s'est vu interdire d'assister à la cérémonie. Croyant que Kitty était là et que le prêtre s'adressait à elle, Sook se mit à tirer dans toutes les directions avec son calibre 38, « en glapissant le nom de Kitty. »

Pour faire bon poids, le racisme et le sadisme sont au rendez-vous. Ainsi par exemple, John et Gene ne s'émeuvent guère de la mort accidentelle d'un ouvrier noir, achevant même, détail horrible, « le boulot que Dieu a laissé ». Pourtant Gene va rencontrer l'amour et devoir y renoncer peu après. Myra rencontrée par hasard, c'est le coup de foudre, elle devient sa femme. Ils quittent Lewisville. Un enfant naît, mais c'est un monstre... Gene ne restera pas les bras croisés.

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Caldwell n'émet pas de jugements de valeurs qu'il s'agisse des violences infligées aux noirs, ou aux femmes, ou de la brutalité des hommes entre eux. L'écriture de Caldwell se caractérise pleinement par son regard objectif sur ses personnages, la primauté de l'action, et le refus de longues descriptions. Sa façon de rapporter a été jugée moderne, et a participé au succès du roman américain en France après la Seconde guerre mondiale. En ce sens, Le Bâtard, a bien été un titre précurseur de l'œuvre d'Erskine Caldwell. Mais en 1929 l'histoire a été jugée scandaleuse aux Etats-Unis, le livre censuré et les exemplaires saisis par les autorités.

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• Erskine Caldwell. Le Bâtard. Traduit par J.-P. Turbergue, Belfond, Vintage, 2013.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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