
Ce récit d'un périple dans le Middle West au milieu des Seventies est la dernière œuvre d'un écrivain célèbre, son autobiographie de 1987 mise à part. D'un point de vue littéraire, rien de remarquable, vu la banalité de l'écriture. C'est le côté écrivain-voyageur qui devrait être susceptible d'intéresser le lecteur. Les dix-huit étapes, dans des petites villes inconnues à l'exception de Tulsa, sont le prétexte d'un sujet, toujours agrémenté des propos d'habitants, et d'anecdotes qui reviennent à l'auteur par association d'idées. De plus, à chaque étape Caldwell écrit une lettre à son éditeur français, Marcel Duhamel, avec qui il a entretenu une longue relation après 1945 et qu'il avait invité à le rejoindre pour découvrir l'ex-Louisiane, vendue aux Etats-Unis en 1803, ce que l'auteur appelle à plusieurs reprises le « Louisiana Purchase ».
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Passant à Rochester, Minnesota, où il a effectué des séjours dans la station thermale, il se souvient de sa visite à Karlsbad en Bohême. À Woodward, Oklahoma, il pense à un ami hongrois qui collectionnait les costumes de cow-boy. À Mobrige, Dakota du Sud, Caldwell se souvient d'un Indien très dévoué qui était domestique chez sa grand-mère. À Dickinson, Dakota du Nord, qui possède une petite université menacée de fermeture, il est invité par un professeur à son cours d'été sur Shakespeare et il se rappelle un cours semblable à Tokyo : on y buvait du thé et non du coca-cola. Les vents violents érodaient les terres sèches du Kansas, Caldwell était passager d'un autocar tombé en panne dans le Dust Bowl, moteur asphyxié par le sable ; l'expérience vécue d'un avion malmené par les vents de sable dans le désert de Gobi lui revient en mémoire. À Shenandoah, Iowa, le voyageur se remémore un passager rencontré sur le Queen Mary et qui s'était présenté comme « un putain d'Américain U.S., pure souche » en espérant que son interlocuteur n'était pas « un autre genre d'Américain – un Sud-Américain, un Canadien, ou un truc comme ça. »
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Des étapes lui offrent un prétexte pour esquisser des traits de la société américaine : minorités indiennes, multitude de communautés religieuses, empreinte de la conquête de l'Ouest... Mais les propos conformistes sont légion.
Si Lebanon, Missouri, possède trente-huit églises pour seulement huit mille habitants, c'est que les premiers colons étaient tellement durs à la tâche que « du coup, ça a causé une épidémie de pasteurs » selon un quidam. Caldwell, qui n'a rien de bigot, assiste à un sermon et s'étonne de la misogynie des propos et de l'excitation de l'orateur.
Estelline, Dakota du Sud. D'origine anabaptiste comme les Mennonites et les Amish, les Huttérites de la communauté de Poinsett se distinguent d'eux. Ces disciples de Jacob Hutter ont choisi d'utiliser des machines agricoles dès le début du XX° siècle. Mais leurs femmes restent confinées dans la colonie agricole, invisibles aux autres habitants d'Estelline.
Keokuk, Iowa, porte le nom d'un chef amérindien qui avait fait bon accueil aux trappeurs. Un retraité évoque le bon vieux temps : « Vous pouvez me croire, ça remuait ici à l'époque, il y avait plus de bars et de bordels sur les quais que je pourrais jamais en compter, et un type pouvait choisir le boulot qu'il voulait et dire carrément pour quel salaire il était prêt à travailler — on le lui donnait. »
De passage à Mobridge, au cœur de la nation Dakota, Caldwell estime qu'avant le Louisiana Purchase le sort des Indiens était meilleur. Les Français ne refusaient pas les mariages mixtes et respectaient les autochtones. Depuis, le Bureau des Affaires Indiennes parque les Indiens dans des réserves et les laisse sans formation ni emploi ; leur absence de résistance à l'alcool fait des ravages.
Scottsbluff, Nebraska. On ne sait qui était ce Scott qui donna son nom à la ville. Ça se passait au temps de l'Oregon Trail quand bien des pionniers étaient tentés de stopper devant l'énorme falaise qui leur barrait la route de l'Ouest. Un habitant prétend que c'était une étape paisible au temps de son grand-père maréchal-ferrant, même si les tombes le long des pistes étaient souvent pillées par des vauriens qui cherchaient « des alliances et des dents en or, des trucs comme ça [et] ils ne prenaient même pas le temps de reboucher la tombe correctement. »
Ogallala, Nebraska, était jadis un centre ferroviaire d'embarquement du bétail. Le public venait à la revue du Crystal Palace. « Le numéro du Far West ne manquait jamais d'être une tonitruante fusillade entre cow-boys à cheval et Indiens hululant des cris de guerre, et les numéros de danseuses réservées aux hommes étaient scientifiquement réglés pour cesser au seuil de l'émeute et du viol. »
Une femme professeur à Omaha, venue pendant l'été travailler dans un restaurant, note la mauvaise éducation de bien de ses clients à Ogallala : « J'en suis venue à la conclusion qu'il y a, dans la condition d'estivant, quelque chose qui peut muer un être humain normal en brute épaisse. » Elle déplore spécialement la voracité de ses clients obèses ; « les super-gros doivent être installés à des tables spéciales (…) On fabrique des chaises extra-larges pour ces grosses fesses de ploucs. »
A Wakeeney, Kansas, comme à Woodward, Oklahoma, on parle encore du Dust Bowl des années 1920. Selon un habitant, les Indiens avaient déjà appelé la région l'Enfer-sur-terre, bien avant ! « De nos jours, lui dit un octogénaire, on ne trouve plus que des gens trop jeunes pour avoir connu les temps difficiles de la dépression et de la sécheresse... Maintenant, prenez la jeune génération, là-bas à Beaver, ils ont même une grande fête de la bouse de vache chaque année avec un défilé, une fanfare, et ils couronnent le meilleur lanceur de bouses... »
Tulsa est une cité d'Oklahoma enrichie par le pétrole où l'on a beaucoup de récriminations contre la capitale fédérale. « Et tout ça c'est à cause d'une épidémie, là-bas à Washington D.C. La source est là. Cet endroit est pollué : Washington D.C. est insalubre. Et si rien n'est fait, Washington D.C. va causer la chute de notre pays. » Le pouvoir fédéral est la source de tous les maux... à moins qu'il ne déménage à Tulsa !
Bien que Caldwell évite de juger, il ne peut ignorer la réputation négative qu'on prête à ces vastes plaines, ainsi à Iola, Kansas : « Le lieu par excellence que certains habitants de la Nouvelle-Angleterre et d'autres chicaneurs de l'Est ont à l'esprit lorsque des remarques quelque peu méprisantes sont lancées sur le niveau de civilisation à l'ouest du Mississippi. »
Les courriers adressés à Duhamel ne brillent pas par de savantes considérations. Il écrit à Duhamel, que quelque part dans la Panhandle (Oklahoma) on a lui refusé sa carte bancaire... Ailleurs il se plaint du mauvais état des motels, ou du climat rude l'hiver et étouffant en été. Bref, pas de quoi fouetter un chat ! Au mieux, il soulignera l'abondance des pancartes commémoratives : « Quant au Missouri, la petite ville de Kearney a l'honneur d'être la ville natale de Jesse James, Lamar revendique Harry Truman, et Hannibal est connue pour avoir vu naître Mark Twain. »
Ainsi le Midwest est fidèle à sa légende faite de rudesse, de passions et de brutalité à cent lieues des villes raffinées de la côte Est.
• Erskine Caldwell. À l'ouest du Mississippi. Traduit par Isabelle Reinharez. Actes Sud, 1991. 276 pages.