
LES ANNÉES FONDATRICES (1929-1945)
Le MoMA existe depuis 1929 et son premier directeur Alfred H. Barr Jr. a beaucoup œuvré pour mettre l'art moderne — au sens de contemporain — à la portée d'un public d'abord new-yorkais. Et le MoMa est incroyablement vite devenu une référence mondiale en la matière.
L'exposition de la Fondation Louis Vuitton suit une élémentaire chronologie : elle s'ouvre sur des œuvres du début du XXème siècle avant, dans les salles suivantes, de venir évoquer les créations les plus contemporaines. L'idéal de collection permanente imaginé par Alfred Barr à la naissance du musée est résumé par ce schéma en forme de torpille (torpedo) : il donne une idée de ses ambitions ! Cet idéal a été poursuivi après le départ d'Alfred Barr en 1943.

Comme Seurat, van Gogh et Gauguin, Cézanne figure donc parmi les artistes qui doivent rester en permanence dans la collection. Le Baigneur de Cézanne ouvre le chemin puisqu'il accueille le visiteur sur les affiches et dans la première salle. Le MoMA le reçut en legs de Lillie P. Bliss en 1934 en même temps que Nature morte aux pommes — ainsi qu'avec d'autres œuvres qui, elles pourraient être vendues pour en acquérir de plus récentes. Par ce moyen le MoMA, comme d'autres musées américains, peut sans cesse financer sa course à la modernité.

Paul CÉZANNE, Le Baigneur. On peut le rapprocher de cette œuvre de Picasso : un garçon nu, la main gauche sur la hanche.

Pablo PICASSO, Le Meneur de cheval. 1905-06.

De Paul SIGNAC (1863-1935), Opus 217, ce portrait de Félix Fénéon (qui l'a conservé jusqu'en 1944), montre un homme de profil devant un tourbillon de motifs. Ce tableau qui illustre la méthode pointilliste est devenu la propriété du MoMA à la mort de David Rockefeller en mars 2017.

Palette de MATISSE a figuré en 1939 dans l'exposition organisée pour le dixième anniversaire du MoMA.

KLIMT, Hope II, 1907-1908. Le décor doré très «byzantin» de la robe ne doit pas faire oublier que la femme est enceinte, peinte dans une attitude de prière, comme les trois autres femmes à ses pieds. Son inquiétude sa manifeste par la tête de mort au niveau de son estomac.

Représentant de la “peinture métaphysique”, Giorgio de Chirico a peint en 1914 cette Gare Montparnasse également appelée La Mélancolie du départ. Qui pourra expliquer la présence d'un régime de bananes au premier plan ?

House by the Railroad (1925) a été la première œuvre d'Edward HOPPER acquise par le MoMA.

Voici un exemple d'humour dada. Francis PICABIA a peint M'Amenez-y à Paris en novembre 1919 non sur une toile mais sur du carton et l'a signée très lisiblement. «Picabia provoque la transgression par le langage. Il interpelle le public par le biais de slogans et jeux de mots... Picabia purge d'abord le portrait à l'aide d'une peinture laxative à l'huile de ricin. Il ravale ensuite l'espace de travail du peintre à un simple “ratelier”, tandis que la mention humoristique “Pont-l'Evêque” en face de sa signature assimile probablement l'artiste au fromage du même nom — mou et à forte odeur. Quant à l'inscription “peinture crocodile” ” [un critique] suggère de la rapprocher de l'expression populaire “larmes de crocodile, larmes qui ne sont que simagrées : Picabia dénonce le double je de la peinture.» (Catalogue de l'exposition DADA au Centre Pompidou, 2005, page 808, citant Arnaud Pierre.)

Avec États d'âme III - Ceux qui restent (1911) d'Umberto BOCCIONI (1882-1016), voici une toile représentative du Futurisme dont l'ambition est de montrer le dynamisme et la vitesse, notamment à travers la présence de machine, comme cette locomotive et ce train 6943 qui perce la toile vers le spectateur. La vapeur de la machine balaie les individus et les traits verticaux pourraient exprimer le poids de la tristesse. Don de Nelson Rockefeller, 1979.

Max BECKMANN (1884-1950) est célèbre pour ce triptyque intitulé Le Départ (Abfahrt, 1932-35). C'est «Le voyage triomphant de l'esprit humain à travers et au-delà de l'agonie du monde moderne» écrit Alfred Barr quand le MoMA fait son acquisition en 1943. L'œuvre est désormais perçue comme une réaction emblématique au régime d'Hitler. Les sombres panneaux latéraux dépeignent un monde de violence physique et psychologique (cf. les individus ligotés et les yeux bandés) alors que la scène centrale — je cite encore le cartel — une échappatoire à l'horreur : la possibilité d'un départ vers un monde de liberté. On n'ose dire un embarquement pour Cythère.

Dans cette toile achetée en 1939, et datant de 1913, Ernst Ludwig KIRCHNER (1880-1938) a peint une Scène de rue à Berlin. En 1913 il avait été l'un des fondateurs de Die Brücke, à l'avant-garde de l'expressionnisme allemand. On peut y lire l'intensité et l'énergie de la vie nocturne d'une capitale moderne. En 1937 le pouvoir nazi retira des musées cette toile ainsi que des milliers d'œuvres qualifiées de “dégénérées”; deux ans plus tard cette peinture exclue de la Nationalgalerie fut vendue au MoMA par le marchand d'art Karl Buchholz, commandité par le gouvernement nazi.
Cette acquisition, comme la précédente, tend à nous prouver le caractère engagé de la politique muséale d'Alfred Barr. Il me revient que divers textes sur l'opposition entre l'art et le nazisme ont été réunis et traduits en français sous le titre "Hitler et les neuf muses".) Cet engagement se retrouva aussi dans le fait que l'immense œuvre de Picasso, Guernica, a été longuement exposée au MoMA avant de retraverser l'Atlantique pour gagner Madrid en 1981. En même temps, le MoMA avait acquis Les Demoiselles d'Avignon.

Les Demoiselles d'Avignon sont alors exposées au MoMA en 1939. On voit ici Nelson Rockefeller devant l'œuvre de 1907. En fait, le Cubisme y avait déjà eu droit de cité comme le rappelle une exposition antérieure.
La couverture du Catalogue de l'exposition d'art moderne de 1935 montre d'ailleurs comment, en peu d'années le MoMA s'est ouvert à tous les courants des arts plastiques, comme le cubisme, le constructivisme, le surréalisme ou l'abstraction, conformément au projet initial de la "torpille" d'Alfred Barr.

Le MoMA d'avant 1939 s'est aussi ouvert à l'art de l'affiche et à la photographie.

En cette année commémorant le centenaire de la Révolution Russe, cette affiche de Gustav KLUTSIS (1895-1938) est un clin d'œil à l'actualité. Sous la bannière de Lénine, 1930. Staline est au second plan.
UNE COLLECTION TOUJOURS PLUS CONTEMPORAINE
Dans la suite de l'exposition, on laisse les œuvres européennes (à l'exception de Hopper) pour des œuvres américaines. New York est devenue la capitale mondiale de l'art après 1945. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le MoMA n'a cessé de suivre l'évolution de la création — de préférence américaine —, tout en veillant à s'élargir aux différentes disciplines, particulièrement à la photographie, mais aussi aux collages et à la video.

Jackson POLLOCK, The She-Wolf, 1943. Acquise l'année suivante, cette toile a été la première œuvre du peintre à entrer au MoMA. On peine à reconnaître ici la louve qui nourrit Remus et Romulus comme il est clair que le fameux "dripping" de Pollock est encore partiel ici.

Jackson Pollock encore avec Echo : Number 25, 1951 de... 1951. Il y a encore du dessin dans l'œuvre. Les critiques ont inventé l'expression “Action Painting” pour classer Pollock ou encore De Kooning.

Willem De KOONING (1904-1997) a peint Woman I à une époque où les tenants de l'abstraction « proclamaient l'obsolescence de la représentation de la figure humaine en peinture » pour reprendre la juste formule du cartel. On croit se trouver face à une œuvre expressionniste rapidement exécutée et pourtant elle date de 1950 à 1952.

Andy WARHOL (1928-1987) est connu pour ses séries, comme les Marylin, mais les Soupes Campbell des années 50-60 font aussi parti des incontournables !

Né en 1930, Jasper JOHNS est connu pour sa peinture de drapeau américain. Pour rester dans le genre patriotique, voici sa carte des Etats-Unis de 1961 logiquement intitulée... Map.

Après Jasper Johns, voici une autre carte. Celle du chilien Juan DOWNEY (1940-1993) — Map of America, 1975— est réalisée au crayon et à l'acrylique sur un panneau de bois. Le tourbillon de couleurs pourrait évoquer le trouble d'un artiste que le coup d'état de Pinochet en 1973 à poussé vers l'exil à travers l'Amérique du sud.

Avec Patchwork Quilt, 1970, Romare BEARDEN (1911-1988) dit représenter « une femme sur un édredon en patchwork, dans ce qui pourrait être une case du Sud, dans des tons qui la relient à l'ancien Bénin et à l'Egypte…» Son acquisition faisait suite, en 1970, à des protestations d'artistes reprochant au MoMA d'exclure de sa collection les artistes issus des minorités.

Née en 1954, Cindy Sherman est sans conteste l'une des photographes les plus célèbres. Untitled Film Still (#14) date de 1978.
Venons-en maintenant à quelques œuvres qui témoignent de l'art du début du XXIème siècle !

Mark Bradford : Let's Walk to the Middle of the Ocean (2015). Le peintre né en 1961 utilise pour cette toile large de 365 cm à la fois papier, peinture et vernis.

Kerry James MARSHALL, né en 1955 : Untitled (Club Scene), 2013. Cette toile de très grand format aussi (302 x 548 cm) représente une boîte de nuit peu fréquentée : des personnages (noter que ce sont des Noirs), des posters, des projecteurs, pas de musiciens me semble-t-il.

Ken OKIISHI, né en 1978 aux Etats-Unis, illustre la mode nouvelle de l'art numérique. Gesture/Data (2014). Le spectateur voit défiler des images comme lorsqu'il consulte les photos de son iPhone en les balayant du doigt.

Jeff WALL, né en 1946 au Canada, a installé dans un caisson lumineux une diapositive de très haute définition. C'est : After “Invisible Man” by Ralph Ellison, the Prologue, (1999-2000). Ouf, quel titre ! L'image élaborée dans son studio de Vancouver réunit 1369 ampoules comme dans le roman de Ralph Ellison, “Homme invisible, pour qui chantes-tu ?”, qui raconte « l'histoire d'un jeune afro-américain instruit qui lutte pour surmonter la difficulté de vivre dans une société empreinte de préjugés » — selon les mots du cartel. L'effet est absolument extraordinaire et ça m'a fait penser aux montages photographiques de Gérard Rancinan.
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Après quoi, une superbe exposition dans la tête, il ne reste plus qu'à accéder à la terrasse du musée pour admirer la skyline de la Défense ! Mais pour une pause cigarette... il faudra ressortir.

Ouverte le 11 octobre 2017, l'exposition "Être moderne. Le MoMA à Paris" est à voir à la Fondation Louis Vuitton jusqu'au 5 mars 2018.
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