
Hans-Ulrich Treichel prête voix à un garçonnet de treize ans dans les années 1950, en Allemagne. Pendant la guerre ses parents ont fui les Russes avec son frère Arnold. Pour le sauver sa mère l’a abandonné aux bras d’une inconnue. Depuis, incapable de résilience, le couple vit dans la culpabilité et la honte, cherchant sans cesse nouvelles du « disparu ». À leurs yeux, leurs second fils n’existe pas. Dans ce récit pesant, rédigé sans alinéas, Treichel critique non sans ironie les parents et les organismes scientifiques de recherche en filiation. Le mode de narration rappelle celui de Kafka ; l’hyperfocalisation sur des réalités triviales, le souci du plus petit détail et les effets cumulatifs génèrent chez le lecteur une sensation d’étouffement, accentuée par les raisonnements hypothético-déductifs.
La mère, gravement dépressive, se réfugie dans le mutisme et ne parvient pas à aimer son second enfant. Il devient d’autant plus jaloux de ce frère que sa mère lui révèle qu’il n’est pas mort : il devrait alors partager sa chambre et ses jouets ! Se sentant « coupable d’ être là », il souffre de sérieux troubles psychosomatiques comme si Arnold « s’immisçait dans (sa) vie », en véritable « mouche du coche » qui le harcèle. Son père « irascible et soupe au lait », l’effraie et ne lui adresse guère la parole. H.-U. Treichel brosse un portrait caustique de ces parents, austères chrétiens piétistes pour qui tout plaisir est un péché. Paysan originaire de Rakowiec, son père paie encore en liquide, même son Opel Amiral... Devenu épicier en gros, la nourriture prend une place considérable dans la vie familiale, écho des soucis de l’après guerre. Entre saucisses et têtes de porc se révèle un petit monde étriqué et sclérosant.
Lorsque la Croix Rouge retrouve trace d’un enfant n° 2307 qui pourrait être Arnold, l’angoisse du narrateur se décuple.
Commence alors l’épreuve des tests génétiques et des mesures morphologiques au Laboratoire d’Anthropologie légale. Avec force détails le romancier donne à voir le dédale de ces analyses qui ne concluent à aucune certitude. On frôle le non-sens à force de « probabilités logarithmiques » : « plus l’expertise était détaillée, plus elle semblait embrouillée ». Tout est « possible », tous les résultats demeurent aléatoires et relatifs, laissant la famille dans le doute. Pourtant la mère veut croire que ce 2307 est bien son fils disparu car « une improbabilité de 99,73% n’est pas une improbabilité de 100%. »
Mais lorsque suite au cambriolage de son entreprise le père décède d’un infarctus, le commissaire de police, M. Rudolph s’intéresse de près au narrateur et surtout à sa mère.
Même si une autre famille a déjà adopté le 2307 en dépit de la « situation juridique », la mère supplie le policier d’engager une nouvelle requête en adoption ! Ce sera inutile car il mène son enquête et retrouve le disparu, ultime aléa ironique, alors que les recherches scientifiques n’ont pas abouti !! Mère et fils vont découvrir Arnold devenu Heinrich : l’évidence saute alors aux yeux du narrateur : « Il me ressemblait comme un frère ». Mais le sentiment de culpabilité de sa mère aura le dernier mot...
La narration kafkaïenne donne force à la critique. Mais la puissance de ces pages tient à la situation douloureuse du narrateur, privé de reconnaissance et d’amour par ses parents traumatisés. On ne sort pas indemne de ce récit « humain, trop humain ».
• Hans-Ulrich Treichel. Le Disparu. Folio, 2007, 146 pages.