
À dix-huit ans, le fils Weigand a été viré du lycée. Sa mère a pris les choses en mains pour lui trouver un patron l'acceptant comme apprenti, et ce sera dans une société de transports. Or, ce garçon qui nous raconte son histoire est épris de littérature. Il a d'ailleurs tendance à noyer son amie Gudrun sous des considérations littéraires concernant Kafka. En même temps, il écrit des nouvelles et quelques journaux et magazines les acceptent, aussi entre-t-il en contact avec un quotidien local, le Tagesanzeiger, où il ne tarde pas à se voir proposer un poste de stagiaire.
Voilà donc un roman d'apprentissage au sens premier du terme ! Les moindres détails intéressent le narrateur, mais pas forcément le lecteur... Des faits et gestes quotidiens sans importance, du moins à première vue, se répètent tant qu'on finit par y chercher du sens. Le jeune homme fait ses expériences de la vie, et le titre du livre indique clairement l'émancipation qui est au bout de la route : un appartement que ses appointements permettent de louer, et un roman qu'il ambitionne d'écrire, comme le faisait Linda. Toutefois la femme ne sera ni Gudrun ni Linda qui s'est donné la mort faute peut-être d'avoir su mettre en mots le roman dont elle rêvait.
Derrière les aventures du jeune héros qui écrit en free lance pour le journal populaire, il n'est pas impossible d'imaginer que Wilhelm Genazino a puisé dans ses souvenirs de journaliste débutant quelques souvenirs et anecdotes de salle de rédaction.
Ce roman se place dans le contexte de l'Allemagne d'après-guerre au temps du chancelier Adenauer. Comme on le conçoit aisément, les personnages secondaires sont presque tous marqués par la guerre, physiquement, moralement. Contraint par son métier d'assister à une soirée de spectacles d'amateurs le jeune journaliste juge comme autant de bêtises les joies simples du retour à des temps paisibles.
« Quand la terreur nazie s'est achevée, les Allemands sont entrés dans le silence de l'Histoire. Maintenant, ils ont le droit de découvrir l'existence de bonheurs simples (chapeaux de paille, sucreries, chaussures de plage) qui suffisent absolument pour vivre. Et comme tu ne connais la terreur nazie qu'à travers les livres, [se dit-il] tu ne peux pas comprendre le bonheur de ces gens (…) Pourquoi dans le bonheur qu'ils avaient fini par atteindre, les gens devenaient-ils si niais, si obtus et si sots ? »
Apprenti littérateur, le jeune Weigand, parce qu'il vit en familier de Franz Kafka et d'Heinrich Böll, se sent gêné de prendre conscience d'appartenir, croit-il, à un monde supérieur. « Déjà, je commençais à craindre la lente croissance de l'arrogance en moi. » Entre l'entreprise où il peut devenir contremaître et le journal où il peut devenir rédacteur, quel choix sera le sien ? Le lecteur risque de se tromper à vouloir le deviner ...
En bref, un petit roman agréable — et sans doute fort bien traduit — qui se lit rapidement mais qu'on risque d'oublier assez vite.
• Wilhelm Genazino. Un appartement, une femme, un roman. Traduit par Anne Weber. Christian Bourgois éditeur, 2004, 177 pages.