
Le 5 octobre 2017 a vu arriver un nouveau prix Nobel de Littérature mais un auteur encore absent de ce blog. Pour faire connaissance je me précipite sur le premier roman qu'il a publié en Angleterre, traduit en français deux ans plus tard et publié en folio en 2009 : “Lumière pâle sur les collines”.
Les collines en question sont celles qui surplombent Nagasaki, un téléférique permet d'atteindre le mont Inasa qui domine la baie de ses 330 mètres : l'excursion fait partie des promenades habituelles des habitants de la ville, ainsi Etsuko, jeune mariée, avec une voisine accompagnée de sa fille. Cette Etsuko, alors enceinte, nous la retrouvons vingt ou trente ans plus tard installée en Angleterre où elle a épousé son second mari. Les deux filles d'Etsuko ont quitté la maison : l'aînée, Keiko, vient de se suicider tandis que la cadette, Niki, est revenue de Londres pour passer quelques jours auprès de sa mère. De plus, Etsuko, toujours bienveillante envers les autres, continue de faire des rêves où il est question d'une petite fille en danger.
Ceci dit, l'essentiel du roman consiste en souvenirs du Japon : Etsuko évoque son premier mari, son beau-père, sa voisine Sachiko, la petite Mariko. Au fil du roman, la contexte de l'immédiat après-guerre se dessine, le monument aux victimes, les personnes disparues à la guerre et sous les bombes, la ville à peine reconstruite, la présence des Américains, comme celui avec qui Sachiko va peut-être refaire sa vie.
Tout autant que les descriptions, les conversations — qui prennent une place considérable dans ce premier roman — permettent à l'auteur de glisser çà et là des indices qui expriment le changement que connaît la société japonaise. Des rescapés ont perdu leurs proches et en même temps leur situation sociale ; ainsi Mme Fujiwara, veuve de guerre contrainte de tenir un restaurant de rue pour servir des nouilles. Du point de vue d'Ogata, le beau-père d'Etsuko, c'est une déchéance. Pour lui, professeur à la retraite et amateur de parties d'échecs, le nouveau Japon perd ses racines : il est irrité contre son jeune collègue Shigeo qui condamne l'enseignement d'avant 1946, fondé sur l'obéissance et refusant tout esprit critique. Soir après soir, Jiro fait traîner l'idée d'aller en discuter avec ce Shigeo pourtant son ancien camarade d'école : pour lui l'important c'est plutôt de se consacrer à son métier d'ingénieur dans une entreprise d'électronique. Pour Ogata, il faut maintenir les traditions et quand il rentrera à Fukuoka ce sera pour aménager un jardin de pierres dans sa nouvelle maison.
Un autre fil conducteur est constitué par les souvenirs qu'Etsuko a du comportement parfois étrange de Mariko. Toute petite celle-ci a été marquée par une scène dramatique, une femme noyant son bébé. Elle se retrouve comme hantée par des apparitions que sa mère minimise, maladroitement, allant jusqu'à vouloir noyer des chatons sous les yeux de la petite. On ne s'étonnera donc pas que Mariko ait des attitudes de fugueuse et de refus de l'étranger en qui sa mère voit un futur époux — Mariko le traite de gros cochon... Son malaise fait écho à celui de Keiko qui n'aura pas supporté de vivre auprès d'un beau-père britannique.
Le livre refermé, il reste bien des inconnues. La disparition des deux maris d'Etsuko ne reçoit pas d'explication. On n'apprend pas davantage comment elle a quitté le Japon pour l'Europe avec Keiko. A ce stade de la carrière de Kazuo Ishiguro, l'écriture privilégie l'impression subtile que laissera deviner un dialogue, et se nourrit du souvenir des années japonaises mais sans aller jusqu'à dire que tout est empreint de nostalgie, plutôt que de donner à l'intrigue une place importante à l'image du roman anglais contemporain.
Kazuo Ishiguro, né en 1954 à Nagasaki, a suivi ses parents en Angleterre à l'âge de cinq ans. A la lecture de ce roman — toujours très agréable et fluide — on a pu avoir l'impression que pour créer le personnage d'Etsuko l'auteur s'est inspiré de sa mère et qu'il lui rend hommage. Mais en même temps il entreprend non de régler ses comptes avec un bref passé japonais, mais d'en fixer définitivement les souvenirs maintenant qu'il est devenu citoyen britannique.
• Kazuo Ishiguro. Lumière pâle sur les collines. Traduit de l'anglais par Sophie Mayoux. Folio n°4931, 2009, 296 pages.
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