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Parce qu’il n’avait pu expliquer à un enfant soldat congolais pourquoi «  il ne se sentait bien qu’à l’église », le  neuropsychiatre Boris Cyrulnik entreprit voici dix ans de comprendre le pouvoir thérapeutique de Dieu pour sept milliards d’êtres humains croyants. Pour lui, qui s’est dit non-croyant lors d’une interview radiophonique, la religion constituait « un monde totalement étranger ». C’est en se fondant sur la théorie de l‘attachement, base de toute résilience, qu’il y est parvenu. S’il paraît que « croire en Dieu serait un besoin de l’âme humaine », les 500 000 athées de par le monde, dont l’auteur, attestent du contraire ! B.C. s’attache surtout, en convoquant les neurosciences, la psychologie de l’enfant, sans négliger le contexte social et familial, à éclairer les bienfaits de la croyance en un Dieu révélé. En usant du pronom « nous », il se met à la place des croyants, expose leur état d’esprit et montre leur regard, chargé de préjugés, sur les sans-dieu.

   L’enfant choyé élevé dans une famille religieuse croit ce que croient père et mère, ses figures d’attachement : aimer Dieu lui est naturel. À l’inverse, si l’enfant est mal aimé, traumatisé, Dieu peut devenir le substitut de parents sans consistance et constituer sa figure d’attachement. Il entre alors en résilience car il éprouve la sensation d’élation, l’élévation psycho-affective vers la divinité. De même, un adulte incroyant peut, à la suite d’une grande frayeur ou d’un deuil, éprouver une extase, une révélation qui induit en lui une « bascule émotionnelle » et lui fait éprouver le « sentiment océanique » d’une Présence. Le cas de l’écrivain E.E. Schmitt, perdu seul au désert, en est un bon exemple.

   La neuro-imagerie a démontré les effets thérapeutiques de la croyance en Dieu : elle régule les émotions, modifie les réseaux neuronaux et active le circuit limbique. Le croyant se sent apaisé, sa vie prend sens. La religion apporte d’énormes bénéfices socialisateurs : elle rassure en fournissant une explication du monde, elle socialise en dictant règles et interdits, elle soude les croyants en un groupe aux comportements identiques et conformes. Toutefois B.C. nuance le tableau ; la croyance réduit le sens critique et la foi aveuglante peut mener au fanatisme. La religion alors isole, le communautarisme détruit l’empathie, l’Autre devient l’ennemi : ainsi toutes les religions enfantent le crime.

   Aux yeux des croyants, les athées comme les agnostiques, ces « parents démocratiques » qui laissent à leurs enfants le libre choix de croire, n’ont guère de qualités : attachés à leur libre-arbitre, ils seraient moins respectueux des codes et plus individualistes. En fait, ils choisissent leur contexte d’appartenance : « dans une culture sans Dieu, le sujet lui-même doit chercher sa base de sécurité (dans son milieu professionnel entre autres) pour construire son estime de soi et tisser son lien d’attachement ». Mais ce « forçat de la liberté » qu’est le sans-dieu peut se révéler, l’auteur en est la preuve vivante, aussi empathique et doué de sens moral que les croyants : « le Soi des athées n’a pas besoin de Dieu pour être moral et se soucier de l’autre...» rétorque-t-il En outre, « la religion renforce la tendance à s’auto-estimer, à ne pas remettre en cause les structures familiales, sociales et culturelles ».

   B. C. constate que de plus en plus d’êtres humains dans le monde, parce qu’ils sont en souffrance, — guerre, émigration, catastrophe climatique, tragédie personnelle — se tournent vers Dieu. Alors que dans les pays occidentaux en paix, on a moins besoin de croire : le bonheur éloigne de dieu selon lui. Par exemple, au Danemark, état sécurisant et protecteur, l’athéisme est majoritaire. Il progresse en Europe du sud et aux États-Unis.

   S’il a compris pourquoi des hommes et des enfants ont besoin de Dieu, l’auteur souligne bien les limites de cette croyance. Le retour du religieux dont on parle tant dépend du contexte politique, culturel, et familial. Le besoin de croire en un dieu révélé n’est pas caractéristique de l’âme humaine. Toute croyance reste un choix personnel ; les manières de croire sont diverses et multiples, comme en atteste  l’actuelle réapparition de la spiritualité, le sentiment intime d’une transcendance hors de tout monothéisme  alors que dans le même temps, l’athéisme progresse. L’auteur admet que Dieu peut aider à affronter les souffrances de l’existence, si on ne  lui sacrifie pas sa liberté, voire sa vie, si le Dieu Punisseur n’étouffe pas le Dieu d’Amour.

   • Boris Cyrulnik. Psychothérapie de Dieu. Odile Jacob, 2017, 314 pages.

Lu et chroniqué par Kate

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Tag(s) : #ESSAIS, #SCIENCES SOCIALES
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