Dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, l'horloger James Cox produisait de merveilleux automates. En Chine, au pavillon des Horloges de la Cité interdite, l'auteur s'est laissé guidé par un ami. C'est à partir de ces repères que Christoph Ransmayr a donné vie à cette histoire où j'ai d'abord pensé, mais à tort, trouver un prolongement des aventures de Mateo Ricci qui avait — entre autres choses — apporté des horloges occidentales à l'empereur chinois Wangli.
• Invité par l'empereur Qianlong (1711-1799), Alister Cox, célèbre horloger actif à Londres, Liverpool et Manchester, se rend en Chine avec son adjoint et deux techniciens. Les quatre Anglais débarquent d'un vaisseau de la compagnie des Indes orientales, le Sirius, dans le port de Hangzhou alors que vingt-sept escrocs se font couper le nez : le récit commence tel un roman d'aventures de Jules Verne.
Les horlogers rejoignent la cour impériale des Qing. Cox conçoit une merveilleuse jonque dorée qui séduit l'empereur par ses mécanismes subtils. Qianlong, « l'homme le plus puissant du monde », lui suggère la fabrication d'une horloge perpétuelle et comme la cour se déplace pour l'été au nord de la Grande Muraille dans le Jehol, c'est là que Cox se mettra au travail. L'été passe, le froid arrive. Et l'empereur reste à attendre plus que de raison la livraison de sa commande. Lui, « le Seigneur du Temps » , il rend parfois visite à Cox en compagnie de sa favorite, An. Cette fragile beauté rappelle à l'horloger ému le souvenir de sa fille Abigaïl décédée à cinq ans et de sa femme Faye devenue muette de chagrin, mais qu'il espère plus vaillante à mesure que sa grande œuvre tendra vers l'achèvement.
Tout à sa méditation sur le temps qui rejoint d'ailleurs les pensées de Cox, Qianlong disposera seul du « perpetuum mobile » et des clés pour le mettre en action — mais qu'en fera-t-il ? — tandis que les Anglais — ils ne sont plus que trois, l'un des artisans ayant péri d'une chute de cheval — repartiront du port de Qinhuangdao, sur l'Orion, de la VOC.
• L'allure plutôt dynamique des premières dizaines de pages fait place — quand les Anglais sont installés à Beijing — à une narration plus lente et bientôt pesante à l'image de l'étiquette très formaliste de la cour des Qing. En revanche, le roman trouve une issue un peu précipitée qui contraste avec le tempo plus lent du cœur de l'œuvre. D'aucuns considéreront que les belles phrases longues et fort savamment construites ne donnent ni brio ni légèreté à cette histoire. Certes, le rituel de la cour impériale, redoutable, glacé et mécanique, est bien rendu par l'écrivain autrichien, mais il en ressort qu'à la longue le lecteur peine à s'intéresser à cette fiction de l'empereur et de l'horloger autour de mécaniques complexes, l'un rêvant, l'autre travaillant de ses mains.
En dépit des allusions à la sévérité de la justice impériale, outre les irritations que suscite la présence d'étrangers réputés exercer une influence maléfique sur l'empereur, et malgré les murmures que leurs dépenses en matériaux rares comme le mercure font naître dans l'esprit des courtisans — un poème preuve d'une sourde colère est placardé sur un pavillon de la cour durant le séjour estival — l'intrigue ne comporte pas suffisamment de suspense pour titiller longtemps la curiosité du lecteur. Bref, ça ne vibre pas.
• Christoph RANSMAYR. Cox ou la fuite du temps. Traduit par Bernard Kreiss. Albin Michel, 2017, 316 pages.