Olivier Hanne. Les seuils du Moyen-Orient

Au siècle dernier, le Moyen-Orient a connu de nombreuses créations et modifications de frontières à la suite de l'effondrement de l'empire ottoman. Il n'est pas jusqu'à l'actualité qui les remette en jeu notamment avec Daech, dans l'espace que les Arabes appellent Sham et que la communauté internationale nomme Syrie et Irak. Spécialiste du Moyen-Orient et islamologue, Olivier Hanne a recherché ce que l'on sait de l'existence des frontières dans cette région à travers cinq mille ans d'histoire, tâche immense appuyée sur une imposante bibliographie, et surtout illustrée de 134 cartes dont 88 en couleurs regroupées en cahier. Rien qu'à ce titre, voilà un ouvrage (évidemment chronologique) qui enchantera tous ceux qui doivent se documenter sur l'histoire du Moyen-Orient.

À travers les siècles, certains seuils apparaissent plus fréquemment, zones de passage des armées, régions de contact ou de frontières plus précises, limites fréquentes d'empires, voire limites internes de territoires, pour reprendre les mots-clés du titre de l'ouvrage. Internes ou externes, ces frontières sont par exemple à rechercher le long de l'Euphrate jusqu'au Chatt al-Arab, ou au pied des monts Taurus et Zagros. Au Yémen par exemple, le conflit actuel opposant les hautes terres avec Sanaa et les houtites, au littoral avec Aden comme port majeur, semble rejouer des conflits vieux d'un millénaire.

À la lecture on remarquera bien sûr l'alternance de temps de regroupements dans le cadre de vastes empires et de temps d'émiettement des territoires. Les conquêtes d'Alexandre le Grand, l'empire romain, l'empire ommeyyade, l'empire abbasside à ses débuts et surtout le remarquable empire ottoman réunirent une très grande partie du Moyen-Orient. À ces moments d'unité succèdent les périodes de déconstruction, de démembrement. À l'empire d'Alexandre succèdent les royaumes des diadoques. L'empire abbasside fut submergé par les invasions turques et mongoles. Au glorieux empire ottoman (multiethnique et multiculturel bien avant l'Union européenne !) succèdent les états actuels dont plusieurs sont susceptibles d'exploser ou d'imploser : l'Irak notamment, kurde au nord, sunnite au centre et chiite au sud, ou la Jordanie peuplée de Palestiniens à 70 %. Des recompositions sont peut-être en cours. On imagine parfois qu'un Kurdistan réunirait les Kurdes de Turquie, de Syrie, d'Irak, d'Iran, comme il en avait été fait la demande devant le Congrès de Versailles en 1919.

Invasions, interventions étrangères, exodes, déplacements forcés de population ponctuent l'histoire du Moyen-Orient : des états sombrent, d'autres sont fragilisés, tel le Liban qui fait face à un très grand nombre de réfugiés par rapport à sa population. À l'époque contemporaine, malgré le déclin du nomadisme, il est clair qu'aucune tentative d'unification ne fonctionne. L'islam est divisé entre un grand nombre de courants (comme le christianisme sous Byzance). L'arabisme a échoué malgré la tentative d'une République Arabe Unie (RAU) lancée en 1958 par Nasser. Il n'y a pas de culture civique porteuse d'un bien commun et respectant l'autre. Au contraire, l'essor du nationalisme, la xénophobie, la haine et la théorie du complot prospèrent. Tels sont les maux dont souffrent la région : « une incapacité à élaborer des espaces politique autour d'un bien commun » juge l'auteur (page 415) mais il ne fait pas suivre cette réflexion d'analyses concernant l'éducation (ce n'est clairement pas son sujet).

« La stabilité territoriale paraît étrangère au Moyen-Orient » dit l'auteur juste après l'incipit, mais en cours de lecture, la Perse et l'Egypte, plus que la Turquie, donnent l'impression d'être vraiment les pays les plus stables de la région. Un livre bien intéressant donc, même si, pages 360 et 416, des réfugiés « fuyèrent » vers la Syrie et Damas.

• Olivier Hanne. Les seuils du Moyen-Orient. Histoire des frontières et des territoires. Éditions du Rocher, mars 2017, 538 pages.