Pour L. Colombani, tout texte s’apparente à un tissu élaboré peu à peu sur le métier par l’auteur artisan. Dans son premier roman, elle s’imagine tresseuse de cheveux et choisit trois mèches, trois femmes à la même chevelure noire : Smita l’indienne, Giulia la sicilienne et Sarah la juive askhénaze. Toutes confrontées à l’adversité partagent la même force intérieure, la même détermination à réussir, interconnectées sans s’être jamais rencontrées . Cette originale métaphore bien filée confère au roman sa portée économique : offrandes aux dieux des Sikhs et des pèlerins les plus pauvres, les cheveux achetés en Inde nourrissent la fabrication de perruques et d’extensions en Europe ou au Canada. Si les trois destins diffèrent, les cheveux les rapprochent : Smita les fournit, Giulia les transforme et Sarah les porte.
Smita, intouchable – dalit –, condamnée comme sa mère à vider les latrines des riches de Badlapur, dans l’Utah Pradesh, refuse que sa fille Lalita vive la même exclusion et met tout en œuvre pour que l’enfant aille à l’école. Giulia seconde son père dans l’atelier familial de cascatura, fabrique de postiches et de perruques ; la faillite le menace et elle réussit, avec l’aide de Kamal, son amant sikh, à le sauver en important des cheveux indiens car « il faut évoluer ou mourir ». Sarah, avocate renommée à qui tout réussissait s’écroule, victime d’un cancer du sein ; mais elle renaît grâce à une perruque de cheveux indiens.
Giulia semble la plus fragile, la plus jeune aussi : l’amour de Kamal la dynamise, alors que Smita et Sarah affrontent seules leurs épreuves et ne doivent leur réussite qu’à elles-mêmes. Hormis Kamal, aucun homme ne soutient ces femmes ; Nagarajan, le mari de Smita, bon époux qui ne la bat pas, ne partage pas son combat et Sarah est mise sur la touche par ses homologues masculins. La discrimination n’épargne ni Smita – car une dalit n’est pas considérée comme un être humain en Inde –, ni Sarah, placardisée par ses collègues dès qu’ils connaissent sa maladie : « Quand on doit nager parmi les requins, mieux vaut ne pas saigner ». On remarque que Giulia et Sarah, les plus favorisées socialement, doivent leur salut à Smita, la plus pauvre : ses cheveux et ceux de Lalita arrivent dans le premier ballot que Giulia réceptionne... Toutes deux ont connu un vrai séisme dans leur existence et ont dû trouver les ressources pour rebondir ; à l’inverse Smita n’a toujours survécu qu’en luttant jour après jour. Pour toutes trois « le miracle s’est accompli ».
Dans ce roman à la construction inattendue, chaque chapitre interrompu au bon moment tient le lecteur en haleine. Parfois un peu répétitif, c’est un beau récit chargé d’émotions ; un bel éloge aussi du courage féminin et une belle illustration du lien qui unit les femmes par delà les frontières.
• Laetitia Colombani. La tresse. Grasset, mai 2017, 221 pages.
Chroniqué par Kate