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Le titre américain « The Outsider » n'est certainement pas traduit correctement ici par le mot « transfuge » ! Cross Damon, postier à Chicago, tenu pour mort dans un accident du métro mais survivant chanceux qui décide de s'éclipser pour se refaire une nouvelle vie — loin de sa femme, de ses fils et de sa maîtresse enceinte — n'a rien d'un transfuge au sens que la guerre froide a donné à ce terme, d'autant qu'il ne devient pas non plus communiste, bien au contraire, après avoir rencontré des membres du Parti. Cela se passe vers 1950.

Cross Damon vole l'identité d'un jeune homme noir comme lui, Lionel Lane, pour démarrer sa nouvelle vie à New York et peut-être commencer de nouvelles études car il est passionné par des auteurs sérieux et difficiles comme Nietzsche. Le hasard, qui l'a conduit à défenestrer un collègue de travail rencontré dans un bordel après son accident, le fait peu après rencontrer dans le train à la fois Bob, un Antillais qui assure le service dans le wagon-restaurant et Houston, le District Attorney bossu de la métropole. Cherchant à s'installer dans Harlem, Lionel rencontre chez Bob un cadre du parti communiste, Gil, et invité par celui-ci lui à louer une chambre chez lui, il tombe amoureux de son épouse Eva et lit en secret son journal. Gil et le Parti ayant lancé une opération de combat antifasciste, Lionel se laisse manipuler par Gil : son rôle consistera à exciter le propriétaire fasciste de l'immeuble, Herndon. Intervenant dans la bagarre qui éclate ensuite entre Gil et Herndon, Lionel massacre les deux hommes puis tue un autre communiste, Hilton, qui a manifesté des doutes sur la personne de Lionel. Le serial killer athée et borderline va-t-il s'arrêter à ce quatrième meurtre ? La police saura-t-elle le démasquer ? Ou le Parti va-t-il le liquider ?

Le lecteur en service commandé qui a supporté les six cents pages de ce roman balourd s'irrite régulièrement contre le mélange d'infantilisme, d'inconséquence et de prétention du protagoniste, et à travers lui, contre le romancier. Auparavant, Richard Wright s'était rendu célèbre par ses livres sur la condition noire, mais ici ça ne sert vraiment à rien de ressortir ce sujet et de tenter de nous faire croire que Cross-Lionel est une victime du racisme de la société blanche. Il est d'abord un tricheur et un salaud. Je me suis parfois demandé si la fréquentation par Wright des existentialistes parisiens entre 1945 et 1950 ne l'avait pas poussé à s'enliser dans ce prêchi-prêcha épicé de dénonciations maladroites de l'absurdité de la condition humaine.

À cette question insoluble s'ajoute un autre malaise, né des situations improbables que multiplie un roman qui se veut pourtant réaliste. Les procédés par lesquels Cross devient Lionel sont tellement capilotractés que la rigolade s'imposerait si les détails de l'intrigue et les dialogues n'étaient pas aussi lourdingues. Néanmoins, les communistes que Lionel rencontre sont présentés comme des personnages tellement antipathiques qu'on est bien près de se réjouir de leur élimination, tandis que les improbables façons de faire du District Attorney ajoutent au manque de vraisemblance. L'idée générale de l'histoire n'était pourtant pas mauvaise...

Après le suicide de la belle Eva, peintre abstraite trompée par son mari, et critiquée par le Parti qui ne croit qu'au réalisme socialiste, la culpabilité de Cross-Lionel ne fait aucun doute aux yeux du District Attorney, mais celui-ci n'a pas de preuves et ce sont les tueurs du Parti qui liquident le « transfuge » comme si on avait lu un roman sur la mafia. Une lecture dispensable !

• Richard Wright. Le transfuge. Traduit par Guy de Montlaur. Gallimard, 1955. 633 pages dans l'édition Folio de 1979.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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