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Confiteor, c'est toute la vie d'Adrià Ardèvol, l'histoire de son amour pour Sara, et l'histoire d'un violon ; mais c'est aussi l'histoire du mal qu'il a fait, qu'on lui a fait, qu'on a fait dans l'histoire de Sara comme dans l'histoire du violon présent d'un bout à l'autre de cet incroyable roman fourmillant de dizaines de personnages. Le livre est épais, comme d'autres de cet auteur dont on a savouré Les Voix du Pamano

Une famille à Barcelone, pour commencer. « Naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable ». Les parents d'Adrià ont une forte différence d'âge. Avant d'épouser Carme Bosch, fille d'universitaire et de vingt-deux ans sa cadette, Félix Ardèvol a déjà eu une vie bien remplie ! Ses facultés d'élève brillant l'ont conduit à l'université grégorienne à Rome, ville où il a rencontré la fille d'un petit marchand et quitté les études religieuses mais continué à apprendre les langues y compris les plus rares comme l'araméen. Durant les années noires, il s'enrichit par divers trafics, au détriment tantôt de familles juives aux abois, tantôt de nazis fugitifs après la chute du Reich. C'est ainsi que le premier violon produit à Crémone par Storioni arriva entre ses mains. Naturellement, ces différents trafics lucratifs nous ne les apprendrons pas d'un coup, mais distillés au fil du livre. Dès l'enfance d'Adrià, son père projette de forger en lui un érudit polyglotte et un passionné de veux manuscrits tandis que sa mère rêve de le voir violoniste de renommée internationale. Malgré ces études forcées, Adrià arrive néanmoins à se faire un ami, Bernat, qui joue un rôle essentiel dans Confiteor, et d'autant plus que cet ami étudie comme lui le violon et devient un musicien professionnel alors qu'Adrià met fin à cette formation vers l'âge de 18 ou 20 ans. Entre temps son père était mort à cause du violon, dans des circonstances que je ne relèverai pas. 

Confiteor est tout autant l'histoire d'Adrià que l'histoire du Storioni. Par de multiples histoires annexes connectées au récit principal, l'auteur fait découvrir l'histoire de cet instrument exceptionnel, appelé le Vial, du nom du neveu du compositeur Leclair qu'il aurait assassiné — selon Jaume Cabré — avant de le revendre. Et arrivé au XXe siècle, voici que le Vial passe des mains d'une violoniste juive d'Anvers à celles d'un médecin nazi d'Auschwitz, puis en 1945 à celles du trafiquant et antiquaire Félix Ardèvol qui avait mis au point « un réseau de recherche de n'importe quel papier, papyrus, parchemin » avec son employé Beringuer, « une fouine authentique ». Et Félix ouvre boutique à Barcelone, au temps du franquisme donc, et devient antiquaire et bientôt il passe à son fils le virus de la collection, et pas seulement des langues. Un texte en araméen joue d'ailleurs un rôle important car il met Adrià sur la piste de la propriétaire du violon assassinée à Auschwitz tandis que les citations latines montrent la culture d'Adrià et de Sara. Chacune des sept parties du roman porte un titre en latin !

Confiteor est riche en culture générale. La maison Ardèvol est remplie de livres. Et le violon — généralement abrité dans le coffre-fort de l'appartement des Ardèvol — accompagne la vie tourmentée d'Adrià. Celui-ci étudie la linguistique à Tübingen, devient enseignant dans une université espagnole, écrit des essais sur l'esthétique, sur l'histoire de la culture et sur le mal, tandis que sa vie amoureuse oscille entre Laura l'universitaire et Sara la dessinatrice, illustratrice et portraitiste. Avec Adrià, Bernat et le violon, Sara est la quatrième protagoniste du roman à être présente du début à la fin. La famille israélite de Sara n'apprécie pas les Ardèvol pour une raison qui n'est dévoilée que vers le terme du roman, mais c'est suffisant pour empêcher Sara et Adrià de s'aimer en toute tranquillité. Et Sara partie, Adrià se retrouve seul et malheureux — à trois reprises en fait.

Confiteor est aussi une histoire du mal, disséminé au fil des siècles, et particulièrement dans celui où vivent Félix et Adrià. L'histoire des tortures infligées aux juifs par les nazis — avec plusieurs figures dont des médecins aussi répugnants que Mengele —  se confond et résonne avec celle de l'Inquisition espagnole. L'auteur procède de manière saisissante, notamment dans la partie « Palimpsestus » quand le docteur Aribert Voigt, alias signor Falegnami, alias Herr Zimmermann se mue en un inquisiteur, « le noble fra Nicolau Eimeric, inquisiteur général du royaume d'Aragon, du royaume de Valence et de Majorque et de la principauté de Catalogne » appelant à son service le chevalier Ramon de Nolla qui pour « achever [sa] pénitence » devient « le bras exécuteur du tribunal du Saint-Office » avec mission d'occire le moine Miquel de Susqueda caché « à Sant Pere de Burgal » un monastère à l'écart des grandes routes. Là où son corps reposa, une forêt poussa et cinq siècles plus tard, un bûcheron en fuite, errant depuis les Alpes italiennes suite à un meurtre produit d'une vengeance familiale, y trouvera le bois dont on fera les premiers Storioni. La beauté de l'instrument et de la musique qu'il permet d'interpréter, se trouve ainsi mêlée inextricablement au mal que l'homme fait à ses semblables. Y compris du mal involontaire que fait Adrià parce qu'il est le fils d'un père dont la sinistre réputation a fait fuir Sara. Y compris du mal involontaire que fait Adrià à son père le jour où il a mis son violon d'étude à la place du Storioni pour le prêter à son ami Bernat.

Confiteor se présente au lecteur comme un puzzle ; il s'en aperçoit au bout de quelques dizaines de pages. Le point de vue varie, passant du "je" au "il", comme pour prendre du recul. La narration n'est pas une confession en continu susceptible de rendre lassants bien des œuvres autobiographiques ou des romans classiques, mais ce n'est pas dû à l'intention de l'auteur de brouiller les cartes et de garder du mystère, ou pas seulement, puisque le procédé narratif s'explique avant tout par le narrateur, Adrià, écrivant en quelque sorte un long testament. Quand il s'adresse à Sara — ils se sont tant aimés — Adrià est dans la soixantaine et son médecin vient de lui diagnostiquer un mal incurable, Alzheimer, qui commence à brouiller sa mémoire après le décès de Sara. Ces confessions faites à Sara, elle ne les lira donc pas, mais si elles finissent par être publiées ce sera par les soins de l'ami Bernat. Si ce livre est sur le mal, il est aussi sur l'amour et l'amitié.

• Jaume Cabré. Confiteor. Traduit du catalan par Edmond Raillard. Actes Sud, 2016, 779 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE, #CATALOGNE
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