Ce roman écrit en français par Kundera traite de l'histoire de deux Tchèques qui ont émigré en 1968 après l'échec du Printemps de Prague et qui une vingtaine d'années plus tard, après la disparition du communisme, y reviennent comme Ulysse revient dans son île après deux décennies d'odyssée. Tandis que Kafka triomphe sur les tee-shirts, celui ou celle qui s'attendrait à de joyeuses retrouvailles aurait tort.
L'émigration est au cœur du livre. Josef est devenu vétérinaire au Danemark où il s'est marié, il est veuf maintenant. Irena a émigré à Paris, mais maintenant elle est veuve de Martin, et vit par intermittence avec Gustav son ami suédois. Irena et Martin faisaient un même rêve d'émigration, en fait un cauchemar. Irena voyait des femmes accourir vers elle chope de bière à la main : calamité du retour à Prague pour Irena convertie aux vins français. Mais le départ, était-ce mieux ? Le communisme, dit Kundera, n'aime pas ceux qui veulent émigrer, « fidèles à la tradition de la Révolution française, les États communistes ont jeté l'anathème sur l'émigration, considérée comme la plus odieuse des trahisons ». Le régime prenait des sanctions contre les familles, d'où, par exemple le malaise qui naît quand Josef retrouve son frère et sa belle-soeur.
Le fil rouge du retour, du « Grand Retour » même, habite ce livre en compagnie des thèmes de l'ignorance et de l'échec, car ce retour au pays est un échec pour Irena. Elle revient au pays natal pour revoir sa mère, ses amies, ainsi que son amant Gustav dont la société a ouvert une agence à Prague. Josef revient au pays après le décès de son épouse. L'un et l'autre sont à la fois veufs d'un conjoint et — on aurait pu le croire — d'une terre natale. Ils se croisés à l'aéroport mais sans se reconnaître mutuellement : il y a bien longtemps Irena avait rompu avec Josef et après cela raté son suicide ; or Josef ne l'a pas vraiment reconnue quand ils se sont rencontrés en prenant l'avion, pas plus que lors de leur aventure amoureuse. En parallèle, Gustav, qui est plus âgé que sa maîtresse, cède aux avances de sa mère, mais l'un et l'autre sont séparés par l'ignorance de la langue. Le retour à la terre natale est une déception.
La difficulté d'être et de communiquer, les désillusions, les déceptions caractérisent donc bien ce court roman de Milan Kundera — un peu comme le reste de son œuvre — simplement ses personnages ici ne me paraissent pas très vivants, ils manquent un peu d'épaisseur, de vérité, et la psychologie dont use l'écrivain me semble fort schématique et conventionnelle. On dirait des marionnettes ou des caricatures de personnages. Pour tenter de donner une dimension plus réelle à son histoire, ou pour sacrifier à la mode, l'auteur a plaqué à la fin deux scènes de sexe, en miroir, sans vraiment convaincre. Tout se passe comme s'il s'était cru obligé d'écrire un roman sans âme au lieu d'un essai sur l'émigration, le retour au pays, les faux-semblants des retrouvailles, ou encore la barrière des langues.
• Milan Kundera. L'ignorance. Gallimard, 2003, 180 pages.