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Journaliste et romancier angolais, J.E. Agualusa s’est beaucoup documenté afin de faire prendre conscience de l’intensité et de l’ignominie de la traite des noirs pratiquée dans son pays, fin 16°, début 17° siècles par les Portugais en collaboration avec l’Église. L’auteur laisse la parole à un ancien jésuite, Francisco José, presque centenaire lorsqu’il écrit ses mémoires.

 

Cette chronique historico-romanesque se déploie autour de la reine Ginga, dont le narrateur fut le secrétaire. Née en 1581, décédée à quatre-vingts ans, cette femme de caractère est devenue l’icône des Africaines. Entre « le Bruit et la Fureur » de Faulkner et le « Candide » de Voltaire, Agualusa élabore une foisonnante intrigue, épique, violente, et bouscule les temporalités : le récit y gagne en nervosité, le lecteur en concentration. F. José, ballotté souvent malgré lui au gré des conflits et des trahisons dénonce la cruauté des esclavagistes portugais et fustige le comportement scandaleux des prêtres « au nom de Dieu ». Bien qu’assoiffée de pouvoir, la reine Ginga n’atteignit pas le degré d’inhumanité des Européens. Au terme de son existence, l’indignation du narrateur reste vive. Il a perdu la foi, mais il a trouvé son chemin vers la sérénité.

 

Devenue reine du royaume du Dongo, une partie de l’actuel Angola, après avoir assassiné le roi son frère, Ginga fit rédiger à José une proposition de traité de paix avec les Portugais. À Luanda l’affaire tourna court car la reine refusa de leur faire allégeance. Elle chercha alors alliance avec leurs ennemis les Hollandais qui venaient de s’emparer du Pernambouc, terre brésilienne. F. José y fut mandé en ambassadeur : alliés à Ginga les « Flamands » envisageaient de reprendre Luanda aux Portugais car la Compagnie des Indes s’enrichirait de la traite entre l’Angola et le Brésil. Luanda exportait alors plus de quinze mille hommes par an : «  le commerce d’êtres humains est le négoce le plus lucratif du pays » écrit le narrateur. Mais l’armée de Ginga échoua et les Hollandais durent se rendre. Cet imbroglio économico-politique se double d’une histoire d’amour entre le père jésuite et Muxima, la plus jeune des épouses de son ami Domingos Vaz, dont il lui fait cadeau selon la coutume locale...

 

La reine Ginga fut une guerrière cruelle et ambitieuse : « Plus grand est un roi, plus petit lui paraît le monde » déclarait-elle à son secrétaire ; « dans l’avenir cette mer sera une mer africaine. Le chemin par lequel les Africains inventeront le monde ». Opportuniste, elle se convertit au christianisme pour renforcer l’alliance avec les Portugais et devint Dona Ana de Sousa. Peine perdue ; elle épousa alors le chef des guerriers réputés sanguinaires pour leur tenir tête. Vêtue en homme, elle contraignait « les nobles de sa cour à s’habiller comme s’ils étaient des femelles ». Soucieuse de son rang, elle préféra lors d’une entrevue s’asseoir sur l’une de ses esclaves plutôt qu’à terre, selon la coutume angolaise. La reine appréciait F. José et c’était réciproque.

 

Né dans le Pernambouc, il était entré à quinze ans dans la Compagnie de Jésus qui l’avait missionné en Angola cinq ans plus tard. Ce qu’il y découvrit le bouleversa jusqu’à le métamorphoser. Il fut choqué de la cruauté et de la violence des inquisiteurs du Saint Office et des esclavagistes portugais. Ceux-ci ne respectaient pas les règles de la traite stipulant que seuls les condamnés à mort et les prisonniers de guerre pouvaient être asservis. À l’inverse les Hollandais, moins cruels, ne persécutaient personne. » Chacun était libre d’exercer sa religion ». Le jeune prêtre découvrit, horrifié, que la plupart des jésuites » ne s’intéressaient qu‘au nombre d’hommes qu’ils pouvaient rafler et envoyer au Brésil », scandaleux « commerçants d’une pauvre humanité » plutôt que « bergers des âmes ».

 

Dès lors F. José ne cessa de fuir tout dogme. « Je me trouve (...) aux confins de ma vie non seulement éloigné du Christ, mais de n’importe quel autre Dieu, car toutes les religions me paraissent également néfastes, coupables de toutes les haines et de toutes les guerres » écrit-il. En perdant la foi dans le Dieu de l’Église F. José est devenu un homme libre : « Dieu avait été, durant toutes ces années ma chaîne en fer autour du cou. (..) Mais dans son infinie bonté il a créé un être libre capable de choisir son propre chemin » ; certes « Vivre sans Dieu est une responsabilité, mais comme toute responsabilité, cela nous fait grandir ». F. José garde néanmoins une nostalgie de Dieu, Celui à qui l’on s’adresse hors de tous les discours des religieux.

 

L’amour fut le vecteur de sa métamorphose, Muxima sa lumière : « je sus alors pourquoi le destin — remarquez que j’écris destin et que je n’écris pas Dieu ­— m’avait envoyé en Afrique : le Paradis c’était elle ; l’Enfer était son absence. » Ils eurent un fils, Cristovao. C’est avec lui que F. José ouvrit une imprimerie à Amsterdam, au pays de la liberté de croyance.

Au banc des accusés Agualusa convoque autant les esclavagistes portugais que l’Église. Comme le dénonçait déjà Montaigne auquel l’auteur fait référence, ce furent eux les vrais barbares. Et si les Africains ont bien inventé le monde, c’est après avoir brisé leurs chaînes.

L’humanisme, l’empathie et la bienveillance de ce roman touffu devraient interpeller les esprits curieux.

 

• José Eduardo Agualusa. La reine Ginga et comment les Africains ont inventé le monde. Traduit du portugais (Angola) par Danielle Schramm. Métailié, 2017, 236 pages.

Lu et chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE PORTUGAISE, #ANGOLA, #ESCLAVAGE & COLONISATION
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