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Il n'est pas rare qu'un écrivain choisisse d'organiser son intrigue à l'intérieur d'une même journée de son personnage — qu'on songe à Ulysse de Joyce ou à Une journée dans la vie d'Ivan Denissovitch de Soljenitsyne — telle est la solution retenue par Peter Handke pour La Grande Chute. Mais à sa façon bien à lui.

Un comédien dont le nom ne nous sera pas communiqué, venu d'un pays étranger – mais lequel ? — passe une journée entière en attendant de commencer le lendemain le tournage d'un film, ce qu'il n'a pas fait depuis quelques années. À son réveil, la femme — son nom reste un mystère — la femme donc qui l'a hébergé est déjà partie à son travail. Le soir venu, il doit la retrouver au Bar du Destin.

 

Au lieu de prendre la voiture mise à sa disposition, le comédien (ancien carreleur) part à pied, traverse une forêt avant d'arriver dans la métropole cernée d'une autoroute périphérique. Son cheminement ne prendra pas toujours la voie d'une partie de plaisir. Beaucoup de rencontres en revanche sur sa route : le comédien croise des promeneurs, des joggeurs, il salit son costume dans les fourrés et crotte ses chaussures, il rajoute à son chapeau une plume de faucon. Il croise des chasseurs de champignons et des cueilleurs de mûres car l'action se situe en plein été, avec un temps orageux dès le matin et le soir encore. La rencontre du sdf qui engueule tous les bruits venus de la ville constitue, outre une séquence amusante (pas banal chez Handke!), l'un des moments les plus intrigants du roman. À moins que le plus intrigant ce ne soit l'épisode de la messe dite pour lui seul par un prêtre qui l'invite à partager son déjeuner. Ou l'aventure dans la zone ferroviaire où les policiers le soupçonnent d'intention terroriste (« Va t'en crever dans ton propre pays ! »). Ou encore la rencontre avec Andreas, le voisin, bien vieilli, — mais est-ce lui ? — sur le banc d'un abribus. Il « se voyait capable de sauver une âme » mais il n'a rien fait pour cet homme. Il n'a pas le contact facile avec les autres et peut passer pour misanthrope, tout comédien qu'il est.

 

Comme souvent chez Handke, le personnage s'intéresse fortement à la nature, aux arbres, aux plantes, aux oiseaux, aux nuages même. Encore une fois on évoquera le hérisson : le comédien se souvient d'en avoir sauvé un pris dans un grillage. Comme souvent chez Handke, le personnage jette « un regard par dessus l'épaule » (cinq ou six fois dans ce texte!) et croit rencontrer des personnes de sa connaissance — sur le banc, était-ce bien Andreas ? — ou de sa famille — sur la grande place est-ce bien son père défunt qu'il voit marcher à grands pas ? La rêverie et la réalité entretiennent des relations complexes. La forêt et le ciel inspirent des images : on songe à un roman de peu antérieur, La perte de l'image, pour l'écriture en longs paragraphes et pour le style soigné qui rend — contrairement à bien des premiers écrits — la lecture plus fluide et le lecteur plus heureux.

La chute du roman ? La Grande Chute, bien sûr !

 

• Peter Handke. La Grande Chute. Traduit par Olivier Le Lay. Gallimard, 2014, 172 pages.

 

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