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Dans ce roman choral, la voix des morts se mêle à celle des vivants , le réalisme tragique aux évocations hallucinées, magiques, poétiques. C’est le  charme de l’écriture de l’auteur. Tout est contraste sur l’île de Mayotte, 101ème département français depuis 2014, envahie par les clandestins venus des Comores, de Madagascar ou d’Afrique... N. Appanah a choisi d’’en révéler l’atmosphère infernale à travers les mésaventures d’une bande de gosses des rues, tandis que policiers, pompiers, bénévoles des ONG restent impuissants à éteindre le feu...

Une belle jeune Comorienne de dix-sept ans débarqua un jour d’un de ces kwassas kwassas, ces bateaux qui déversent les sans-papiers sur les belles plages de l’île. Dans ses bras un bébé « bandé comme une momie »... Marie, française échouée à Mayotte, la trentaine dépressive de ne pouvoir enfanter, remarqua la jolie maman. Celle-ci lui donna l’enfant atteint d’hétérochromie, un œil noir et un vert : « Lui bébé du djinn, lui porter malheur avec son oeil vert. Toi l’aimer, toi le prendre. » Au fil des années Marie comblée offrit au petit — prénommé Moïse, bien-sûr — une belle enfance de petit blanc, lui rêva une belle vie pour échapper à la fatalité de sa naissance... Mais Marie décéda d’un AVC. À quatorze ans, sans appeler de secours, Moïse s’enfuit avec son chien Bosco. Bruce, le chef de bande le plus redouté de Gaza, quartier de bidonvilles, l’intégra dans sa bande, non sans avoir hésité en raison de l’œil du djinn. Mo découvrit la bière, les joints et les pilules de « chimique » ; entre deux hallucinations, il était « heureux » jusqu’au jour où, par vengeance, il assassina Bruce : le mauvais œil avait frappé... Bruce n’avait pas toujours été un caïd : Mahorais musulman nanti de papiers, lui aussi était tombé à la rue. « Cette île nous a transformés en chiens » regrettait-il. Car à Mayotte, les clandestins volent, violent et dégradent ; les habitants se barricadent, les grilles fleurissent. Le policier Olivier ne peut que déplorer : « Nous sommes seuls... Si l’État français ne fait rien, ce sont les Mahorais qui prendront leur destin en main et ficheront tous les clandestins et les délinquants dehors ».

Moïse avait le mauvais œil, son destin s’est accompli ; emprisonné il eut tout loisir de regretter sa vis d’avant. Mayotte aussi semble victime des djinns, elle dont la verte nature resplendissante fait contrepoint au tragique de la condition mahoraise. Il est enrichissant de lire ce roman, de découvrir le sombre avenir de Mayotte, ce bout de France dont on parle si peu.

Nathacha Appanah. Tropique de la violence. Gallimard, 2016, 174 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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