— A LA RENCONTRE D'UNE AUTRE SOCIETE —
Personnages officiels
Les peintres séjournant en Orient doivent composer avec les autorités locales. Attendre des autorisations pour se déplacer dans le pays, avoir un traducteur (drogman d'où vient le vieux terme français truchement). Autant de raisons pour essayer d'obtenir les bonnes grâces des puissants en échange de rapides portraits.
Né en 1785, l'écossais Sir David Wilkie fait ainsi à Smyrne le 27 janvier 1841 le portrait d'Abram Incab Messir (aquarelle et gouache) sur une feuille de papier gris de format 43,2 cm x 28,5. Une œuvre en double, un exemplaire pour son modèle, l'autre pour lui, en attendant le portrait à l'huile.
A peine arrivé à Constantinople en octobre 1840, Wilki réalisa à l'huile le portrait officiel du sultan Abdul Mejid dont le règne commencé en 1839 allait durer jusqu'en 1861 et rester célèbre pour sa politique de réformes (le « tanzimat » des historiens). Ce portrait fut acquis par la reine Victoria.
Comme la guerre se déroulait en Syrie entre le sultan et le vice-roi d'Egypte Méhémet Ali, Wilkie dut attendre quelque temps avant de gagner Jérusalem pour s'atteler à des scènes bibliques ; après quoi il s'arrêta au Caire pour exécuter le portrait de Méhémet Ali désormais libre du contrôle de la Sublime Porte. Wilkie mourut en mer au retour d'Egypte.
Les chefs et notables maghrébins figurent aussi dans le répertoire des peintres orientalistes.
On remarque dans ces deux tableaux la présence du sabre, insigne de pouvoir.
Dans cette autre société, le conteur tient lui aussi une place de notable. Mais nulle femme n'est présente pour l'écouter.
Cette société de l'Orient musulman ne se résume pas au monde réel ; elle est aussi pour les Européens un monde fantasmé, où l'eunuque fait d'inaccessibles rêves, où la belle esclave attend le retour du cheikh aimé. C'est encore le monde des Mille et Une Nuits...
Dormir sur les terrasses expose aux rêves de jinnia surtout si l'on a fumé le chibouk. Noter près du rêveur la petite table octogonale, le plateau et les objets en cuivre, panoplie répétitive du décor orientaliste.
Les scènes de la vie courante et les petits métiers
Laissons le rêveur et revenons à la vie réelle. Eugène Girardet, Gustave Guillaumet, Etienne Dinet, peignent des scènes de la vie quotidienne, tout comme Nicola Forcella vécut plusieurs années en Egypte et devint professeur à l'école khédiviale des Arts appliqués.
Noter dans ce tableau réaliste mais aux attitudes figées la présence d'une famille de touristes européens. Le père écoute le drogman tandis que la mère et les filles examinent les cuivres que les marchands leur présentent. Il faut rapporter des souvenirs pour sacrifier à la mode orientaliste. On pense à Pierre Loti et au salon turc de sa maison de Rochefort.
Les natures mortes sont assez rares dans cet art orientaliste pour qu'on signale cette composition de R. Ernst. Ce peintre a séjourné à Constantinople — et y a rencontré Osman Hamdi Bey lui-même peintre et fondateur du musée archéologique de Turquie — et a eu accès à la cour ottomane.
Les petits métiers
Le vendeur d'oranges, l'ébéniste, le vendeur de boisson, le charmeur de serpents, le vendeur de couleurs, le barbier, le potier : autant de figures des petits métiers que le peintre voyageur soucieux de peinture “documentaire” et de scènes “prises sur le vif” rencontre dans les rues des villes.
C'est une boisson populaire due aux Ottomans et préparée à base de lait et d'essences florales, comme de l'eau de rose.
Le charmeur de serpents se donne en spectacle aux populations locales avant de devenir une attraction pour les touristes.
Avec ce marchand de couleurs Gérôme continue de présenter au public occidental une image qui semble plus exacte — il recourait à la photographie pour préparer ses compositions — que pour la plupart de ses autres œuvres.
Dans un monde en large partie illettré, le recours au scribe est une nécessité courante. Contrairement au réalisme méticuleux de Discart de Deutsch ou de Swoboda, la manière d'Eugène Fromentin, privilégiant la couleur, rappelle certaines toiles de Delacroix.
Eugène Girardet estimant l'Algérie littorale trop européanisée entreprit de s'enfoncer dans le sud et découvrit les oasis de Biskra, d'El Kantara et de Bou-Sââda, s'intéressant à la vie quotidienne des habitants des hauts-plateaux, des oasis et des nomades.
Un autre monde : l'islam
Les peintres orientalistes découvrent l'islam, et certains s'y intéressent de très près. En 1844, Albert Kazimirski, drogman de la représentation français au Levant et en Perse, a donné une nouvelle traduction du Coran.
Installé en Algérie après 1884, Etienne Dinet se convertit, fait le pèlerinage de La Mecque et devient Hadj Nasr Ed Dine Dini selon le site GRIC.
Léon Belly élabore une composition quasi théâtrale d'un groupe de pèlerins, où quelques rares touches de brun rehaussent le gris sable de l'ensemble.
Toutes les mosquées ne sont pas d'imposants lieux de culte, à l'oasis de Chetma près de Biskra en Algérie, Maurice Bompard s'attache à représenter une modeste salle de prière.
Dans ces deux scènes on remarque la même opposition des couleurs entre les personnages du premier plan et les mosquées à l'arrière-plan.
Jean-Léon Gérôme, comme d'autres, s'attacha à représenter la culture musulmane. Dans l'ouvrage de Lynne Thornton sur Les Orientalistes peintres voyageurs, plus de trente reproductions d'artistes divers concernent différentes voies d'expression de la religion musulmane.
Un petit élève apprend le Coran. Ici dans un beau décor de céramique où domine le bleu, tranchant avec le doré du haut du mur.
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