— L'ORIENT DES VILLES ET DES CAMPAGNES —
Constantinople
Les peintres sont d'abord attirés par les paysages le long de la Corne d'Or avec Sainte Sophie dans le lointain, tels Ivan Aivazovsky en 1846, ou Félix Ziem qui a parcouru l'Orient en 1856.
Fouqueray la nimbe du bleu d'Orient, en opposition avec les tons violents des activités humaines.
Par tradition Constantinople c'était la capitale de l'Orient. Successeurs des empereurs byzantins, les sultans faisaient venir à leur cour des peintres européens, ainsi Jean-Baptiste van Mour au XVII° siècle ou Jean-Etienne Liotard au XVIIIe s.
Constantinople était depuis 1453 le centre d'un pouvoir fort fondé sur une armée de janissaires dont la réputation sanglante frappe les Occidentaux en ces temps de révolte grecque qui a saisi les Romantiques de passion et d'effroi.
Ami de Delacroix, Callande de Champmartin avait entrepris après 1815 un voyage à Constantinople. L'épisode sanglant de 1816 est contemporain du séjour du peintre note Chr. Peltre : « le sultan Mahmoud II prononce la dissolution du corps des janissaires, fait incendier leurs casernes et assassiner ceux qui cherchent à échapper à l'incendie. » A son retour, Callande expose l'œuvre au Salon de 1827. C'est son unique œuvre d'orientaliste.
Les premiers dessins d'Amadeo Preziosi à Constantinople datent de novembre 1842 et deux ans plus tard Rubert Curzon, le secrétaire de l'ambassade britannique, le chargea de constituer un album sur les Costumes de Constantinople, aujourd'hui conservé au British Museum. Marié à une Grecque, il s'installa à Péra et fut drogman de deux ambassades. Preziosi publia aussi un album de dessins intitulé Souvenir du Caire. Ses œuvres étaient assez prisées pour être achetées entre 300 et 1200 francs par le prince Carol de Roumanie. Sans doute, comme le montre cette aquarelle, le rendu des étoffes, les coloris doux et lumineux, ont-ils séduit l'imaginaire européen.
Passé le milieu du XIXe siècle Constantinople attira moins les Orientalistes. La ville se modernisait. Elle perdait son exotisme. Zonaro en témoigne avec cet afflux de navires à vapeur.
Jérusalem, Ville Sainte
Entre Constantinople et le Caire, les peintres orientalistes faisaient escale en Syrie ou en Palestine : c'est à Jérusalem qu'il fallait s'arrêter. Sur l'esplanade du Temple, apparaît le dôme de la mosquée Al-Aqsa.
Une génération plus tard, Gustav Bauernfeind s'est attaché à montrer les rues de la vieille ville tout en plaçant un dôme dans sa perspective.
Le Caire, capitale des Orientalistes
Le Caire est la ville préférée des peintres orientalistes, notamment dans les années 1880, parce qu'il y a tout : l'exotisme, qu'ils ne retrouvent plus à Constantinople (parce qu'elle s'est modernisée avant?), l'islam (nombreuses mosquées), le Nil, les pyramides et le sphinx à deux pas, de même que le désert. Comme la ville est grande, elle ne manque pas de personnages variés, de minorités (coptes), de petits métiers, de châteaux et de forteresses. En annexe, le tableau synoptique montre bien cet attrait qu'exerce l'Egypte sur la majeure partie des peintres orientalistes partis chercher sur place l'inspiration.
Les scènes de rue constituent un autre motif incontournable des peintures orientalistes. Ci-dessus on remarque la douceur des coloris et la propreté des lieux comme des personnages, conformément à l'académisme !
Comme Rudolf Weisse ou John Varley Junior, John Frederick Lewis peignit l'animation des rues du Caire. Il eut tout le temps car il s'installa au Caire en 1841 et y resta dix ans, habitant près de la mosquée du sultan Hassan, adoptant le costume local, peignant à l'aquarelle la vie des habitants.
Le périple en Orient d'Ippolito Caffi s'est déroulé en 1843-1844, l'artiste peignant cette veduta de Suez bien avant que Lesseps ne lui donne la notoriété avec le creusement du canal. L'Américain Frederick Arthur Bridgman a visité l'Afrique du Nord en 1877 avant de se rendre en Egypte où l'Antiquité l'inspire. Il n'est pas seul à voyager sur les traces monumentales du temps des Pharaons. Pour Edward Lear comme pour David Roberts, Le Caire n'était qu'une étape avant de remonter le cours du Nil à la recherche des monuments pharaoniques.
Pionnier des peintres visiteurs de l'Orient, Charles Gleyre posa son chevalet devant les ruines du temple d'Amon à Karnak. Il sillonna trois ans durant la Turquie, l'Egypte, et il remonta le Nil jusqu'à Khartoum. Le musée d'Orsay lui a consacré une exposition en 2016.
Les villes du Maghreb
Alger fut la porte d'entrée en “Orient” par le Maghreb et la conquête coloniale amena de nombreux artistes dans son sillage. William Wyld (1806-1889) rencontra Horace Vernet à Alger en 1833. Autre exemple, un demi-siècle plus tard, après l'obtention du Grand Prix de Rome en 1884 Paul Leroy partit l'année suivante pour l'Algérie ; il s'intéressa particulièrement à Biskra avant d'aller visiter la Tunisie, l'Egypte, et la Perse. D'autres s'installèrent définitivement à Alger ; c'est le cas de Léon Cauvy dès 1907 ; il devient directeur de l'école des beaux-arts d'Alger et il resta algérois jusqu'à sa mort en 1933. A la même époque Roubtzoff s'installa en Algérie ; puis Majorelle au Maroc.
Ce peintre a été sensible au bleu pour évoquer une scène matinale sur Alger. Passons du bleu au bistre avec Charles-Théodore Frère.
Dans l'est de l'Algérie, Constantine a attiré divers peintres au début de la colonisation, comme Edmond Hédouin et Adolphe Leleux en 1847, et notamment séduit les paysagiste : après Frère, l'allemand Curtius Grölig.
Tanger, porte du Maroc
Au Maroc, c'est Tanger qui a le plus les faveurs des peintres. Sans doute parce qu'ils arrivent du sud de l'Espagne où l'Andalousie leur donnait un avant-goût du monde arabe.
Jacques Majorelle s'installa au Maroc en 1917, à Marrakech, y acquit une villa — rachetée plus tard par Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé. Il est célèbre pour avoir peint d'un bleu très vif et violacé les murs de son atelier : le bleu Majorelle. Dans cette représentation de la Casbah de Tinghir , l'artiste assombrit l'ocre des maisons et donne à l'ensemble une allure de forteresse.
Mais c'est le rouge qui domine ici sur les murs de la casbah. Le pointilliste belge Théo van Rysselberghe utilise, lui, un bleu vif pour les ombres des murs et les lointains du panorama urbain de Meknès, alors que Nicolas de Staël, venu visiter le Maroc en 1936 et 1937, a surtout retenu la saturation lumineuse que renvoie la blancheur des murs et des terrasses, à tel point qu'elle en efface les contours.
Souks, marchés et rues d'Orient
Au bazar et dans les rues des grandes villes, la profusion de marchandises et d'activités attire une foule compacte et bigarrée.
Street scene in Cairo.
William Holman Hunt « voit son vérisme inégalé » (selon Chr. Peltre) dans des œuvres comme cette scène de rue cairote, évoquant la cour galante du fabricant de lanternes.
Le bazar du Caire
La rue et la mosquée Al Ghouri au Caire.
Alors que les peintres des trois tableaux précédents insistent sur l'affluence bariolée du marché et accentuent les couleurs, Cauvy stylise lieux et personnages, et sa palette de tonalités douces crée une impression d'irréalité.
Dans les scènes d'extérieur, Orientales et Orientaux sont toujours bien vêtus. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que les artistes osent peindre la misère. Ainsi cette scène présentée en 1891 au Palais de cristal (Glaspalast) de Munich.
Dans cette évocation de la vie domestique le peintre a cherché à construire une scène familière, mais l'ensemble, équilibré et harmonieux jusque dans les envols de pigeons, laisse peu de place à la spontanéité.
Le petit joueur de flûte. 1877
A la fin du 19e siècle, faut-il le répéter, les peintres sont plus sensibles à la misère des populations locales. Pieds nus, les vêtements en loques, ce jeune garçon fait la manche au coin d'une rue de la casbah.
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