Qu'est-ce que la fatigue ? Tout le monde croit le savoir, non ? Mais Peter Handke n'est pas tout le monde et sa fatigue à lui il la présente dans ce bref essai sous la forme imaginaire d'un interview. L'auteur n'essaie pas vraiment de se représenter la fatigue chez les autres, par exemple chez les bourgeois. « Non. Il me semble que la fatigue chez eux ça ne se fait pas ; pour eux, c'est des mauvaises manières, comme d'aller pieds nus. »
La fatigue qu'il connaît, c'est la sienne. Pour cet essai, il la cherche dans son expérience. Entre la fatigue d'assister encore gamin à une messe de minuit, la fatigue ressentie à un cours à l'université ou la fatigue consécutive à des efforts physiques intenses, dans les travaux agricoles de la ferme des parents — le battage et la rentrée des foins — ou dans le travail de magasinier dans un grand magasin de la ville destiné à payer ses études, il y a bien sûr des différences. Mais ce sont toutes des fatigues personnelles, vécues par l'esprit ou le corps, dans la jeunesse, pas des fatigues d'un écrivain.
L'essai se poursuit donc en évoquant des fatigues d'un autre ordre.
Après avoir longuement contemplé “Les Sept Sacrements” de Poussin dans un musée écossais, l'auteur se dit « rayonnant de fatigue » ! Avec l'absence de sommeil due à un retour d'Alaska en avion avec escales, l'auteur se souvient que « la fatigue était maintenant [s]on amie » ; assis à une terrasse de café plutôt que de rester à la chambre d'un hôtel de Manhattan, elle lui permit de suivre des yeux les passantes, spécialement « la femme splendide qui passe là-bas avec une démarche ondulante », une source de ses « images du monde ». Plus souvent la fatigue profitable à l'auteur provient de la marche, de longues randonnées dans la campagne, propices à des rencontres animalières, amenant par exemple à s'arrêter au milieu du chemin pour contempler ne serait-ce qu'une chenille. « La fatigue enseigne utilement », elle donne des idées, des images, c'est « ce pouvoir qu'elle a de faire voir ».
Et le lecteur dans tout ça ? D'aucuns diront que lire Handke c'est fatigant...
• Peter Handke. Essai sur la fatigue. Traduit par G.-A. Goldschmidt. Gallimard, 1991, 72 pages. Repris en Folio.