Sa mère, quelle tchatche ! Entre gravité et autodérision, Magyd Cherfi joue de tous les registres, son style s’écoute et se déguste car ce rockeur-chanteur toulousain aime les mots, ceux du bled comme ceux de France. D’aucuns n’y verront qu’un récit de plus sur les troubles identitaires d’un jeune algérien de cité... Or l’intérêt de ce livre tient à la détermination courageuse de Magyd Cherfi qui, refusant d’être une victime, s’est construit seul, faisant « de ses blessures un bouclier », et de la langue française une arme. Il tient aussi à l’engagement altruiste de cet adolescent devenu « le scribe du quartier », tout en essayant, par le soutien scolaire et l’expression théâtrale, de donner aux plus jeunes, et aux filles beurettes, une perspective d’avenir. En obtenant son bac littéraire l’auteur a récupéré « sa part de Gaulois », le diplôme l’a rendu français, puisque « l’exception française c’est d’être français et de devoir le devenir ». Et merci à sa mère !
Car si ce « magicien des mots » qui écrivait des poèmes dès l’école primaire avait de bons résultats, c’est que sa mère avait tout misé sur lui. Elle allait jusqu’à priver le garçonnet de foot le jeudi car « un ballon, ça ramène l’intelligence au plus bas du corps. (…) C’est avec sa tête qu’on devient un homme ». Même Mounir, son pire ennemi, l’enviait, lui que sa mère avait « briefé sévère » : « Franchement chapeau ! Elle a mérité. Au moins elle t’a serré. Pas comme nous ». Mais être bon élève, fréquenter l’école, c’était, pour Magyd Cherfi et ses deux potes Samir et Momo s’attirer les quolibets : « Sales pédés ! ». Parler poliment en français correct c’était être un vaincu aux yeux des jeunes de la cité. « Parle bien ta race ! » disait toute leur haine de la France et de cette école qui ne leur apprenait rien de leur histoire. L’orientation, cette « barrière à bicots », en les condamnant à l’enseignement professionnel, les avait rendus « tristes et méchants ». Pour les plus jeunes, Magyd Cherfi et ses copains ont donc organisé du soutien scolaire, tandis que l’auteur écrivait les lettres des familles ou les aidait à remplir les formulaires administratifs. Il eut aussi l’idée d’un club de théâtre mais dut convaincre les parents de laisser les filles y venir jouer. Même si « les filles ça sert à rien », on les serre de près : interdites de sortie ! L’auteur a eu la rage en voyant Bija à l’hôpital, défigurée par son frère pour avoir lu un livre ! Mais, quelle que soit la violence des conflits, les trois copains connaissaient l’antidote : les vannes, les « salves de rire » qui les aidaient à garder leurs distances. Quand Magyd Cherfi ne supportait plus l’ambiance, il se saisissait de ses fiches Lagarde et Michard et se réfugiait chez Thierry, son pote de Terminale, bourgeois chic qui l’aidait en philo. Mais c’est surtout avec sa bande de rockers qu’il s’éclatait.
Alors, obtenir « le premier bac de la cité » ce fut « un exploit pour l’indigène » ! L’auteur raconte avec émotion son retour dans sa rue, son bonheur, l’impression d’être le héros auquel les voisins déroulaient « le tapis rouge » !! Il l’a eu ! il s’est « senti devenir quelqu’un d’autre ». Mais le plus beau souvenir c’est lorsque sa mère, l’embrassant, lui dit en français « Mon chéri » : elle avait fait cet effort de quelques mots étrangers.
On rit certes à la lecture ; toutefois, une fois le livre refermé, on salue l’humanisme de l'auteur qui a su dépasser sa « schizophrénie de fils d’immigré » pour devenir lui-même, un berbéro-toulousain, un gaulo-beur, et on l’espère, un exemple à suivre !
• Magyd Cherfi. Ma part de Gaulois. Actes Sud, 2016, 258 pages.