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Rentrée littéraire 2016.
 
Ce n'est pas la fin du monde, mais la planète va mal dans le dernier roman de Catherine Mavrikakis où l'on court plusieurs lièvres à la fois : les mutations du phénomène urbain, l'injustice ahurissante de la société qui vient, aussi bien que l'impossible révolte des plus démunis et les dessous excitants de la vie tapageuse d'une rockstar idolâtrée.
Dans ce futur assez proche (passé 2060), les métropoles mondiales ont toutes répliqué ce que les géographes spécialistes de la ville américaine (Joël Garreau, Cynthia Ghorra-Gobin), ont appelé « edge city » : la ville-centre est morte. Les banlieues proliférantes, méli-mélo d'autoroutes, de quartiers riches et protégés, d'usines robotisées et de centres commerciaux ont gagné la partie contre les vieux centres urbains anachroniques ou déjà en ruines. Et voici qu'un mal noir, sorte de peste, se propage dans le monde entier et, métropole après métropole, il extermine les pauvres, les errants, les sdf. La romancière canadienne imagine ainsi Montréal envahi par la « gueuserie » et touché à son tour par l'épidémie. Les autorités, c'est-à-dire le Gouvernement mondial, ont abandonné toute intention de politique sociale et les pauvres livrés à eux-mêmes et incapables de se révolter, finissent en squatteurs moribonds de ce qui fut le centre-ville. Accompagnée de son épervier, la grande Cate, devenue chef d'une petite bande de loqueteux, va tenter tout de même un coup d'éclat à la suite d'un concert de la superstar du rock, Oscar de Profundis. L'artiste a eu la mauvaise idée de se donner en spectacle dans la ville qui l'a vu naître et il se retrouve maintenant coincé par l'état de siège dans une vaste demeure ancienne de Montréal, la maison Ormund, entouré d'Edward son secrétaire attentionné et de ses gardes du corps lettons, mais empêché de regagner ses propriétés du Michigan ou du Texas. En même temps, l'armée se déploie pour isoler le vieux Montréal de sa périphérie et liquider les moribonds en passant.
Star mondiale, Oscar Méthot-Ashland, alias de Profundis, est un personnage hors du commun, tout habillé de noir et rongé par la mort de son frère il y a des lustres, et depuis lors nourri de tranquillisants et de cocktails de drogues ou rasséréné par les paroles de son astrologue. Milliardaire, il utilise sa fortune à l'image de sa culture. Aucun engagement caritatif à la manière d'un Bono ou d'un Bill Gates. C'est la culture d'autrefois qui le passionne au point de glisser du latin dans ses chansons ! Il écoute Parsifal de Wagner à longueur de temps. L'âge, la passion et l'argent aidant, il est devenu une sorte de conservateur de la vieille culture occidentale : fils spirituel d'Oscar Wilde et du décadent Des Esseintes, lecteur de Baudelaire et d'Edgar Poe, il s'est fait construire au Texas une immense bibliothèque car on ne fabrique plus de livres dans ce monde soucieux d'éviter des déchets. Par ailleurs, Oscar collectionne les films anciens, comme Laura d'Otto Preminger ou Melancholia de Lars von Trier. Dans le Michigan, il a en cours un grand projet : regrouper les tombes des génies des siècles passés. Et c'est cet homme là, qui a « une peur terrible des microbes », que la grande Cate voudrait prendre en otage !
L'intrigue cependant me semble assez faible, avec trop peu de rebondissements, comme si tout l'effort d'invention de l'auteure avait été absorbé par le personnage d'Oscar et la contextualisation de son récit. Outre quelques anecdotes sur les premières salles de cinéma de Montréal, le roman a quand même le mérite d'alerter sur les inégalités matérielles croissantes, et de façon plus poussée sur l'avenir de la culture humaniste puisque « partout maintenant l'histoire était perçue comme nuisible », que les langues disparaissaient — sauf l'anglais et le chinois — et qu'Adrian, le dernier libraire, avait rejoint les gueux, et paradoxalement c'est ainsi qu'il serait sauvé.
 
Catherine Mavrikakis. Oscar De Profundis. Sabine Weispieser éditeur. 2016, 306 pages .
 
Tag(s) : #LITTERATURE CANADA, #LITTERATURE FRANÇAISE
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