Notre romancier favori poursuit avec cette œuvre ce que l'on devrait appeler son cycle africain. Après Demain j'aurai vingt ans, après Verre cassé, après African Psycho, etc., nous voici de nouveau au Congo, pour vivre les aventures picaresques de Petit Piment.
• Un pauvre garçon sans famille
Moïse le principal personnage du roman, a été abandonné tout petit à l'orphelinat de Loango, la capitale d'un vieux royaume. Comme le prêtre Moupelo l'a baptisé de toute une phrase que l'on traduit « Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres » il est plus simple de l'appeler Moïse. Adolescent, il s'échappe de l'orphelinat avec deux complices, les terribles jumeaux Songi-Songi et Tala-Tala qui l'ont surnommé Petit Piment, pour aller vivre librement à Pointe-Noire. Moïse se retrouve d'abord au sein d'une bande qui règne sur le Grand Marché, puis il est recueilli par une mère maquerelle du quartier des Trois-Cents qui l'emploie et l'installe sur une concession où elle projette de construire. Mais François Makélé, le maire en campagne électorale, vient chambouler la situation du jeune homme. Choqué par la destruction du bordel et l'assassinat des putes zaïroises, Moïse ne tarde pas à perdre la mémoire et à sombrer dans la folie. Cela le conduit au crime, au procès, et à la prison. C'est là enfin que Moïse, devenu Petit Piment, écrira ses mémoires.
• Le pouvoir et l'histoire
Durant les années d'orphelinat un régime marxiste s'est installé dans le pays. Le prêtre Papa Moupelo ne revient plus : la religion est interdite dans les écoles par le nouveau Président que, dans son jeune temps, on surnommait « la terreur des crocodiles ». À l'orphelinat, le directeur Dieudonné Ngoulmoumako devient un tyranneau ; les jeunes sont embrigadés, le personnel est épuré. Parce qu'il évoquait le passé du royaume de Loango et la contribution des chefs locaux à la traite atlantique, Doukou Daka, le professeur d'histoire, est renvoyé et remplacé par un coopérant blanc qui leur enseigne plus classiquement l'histoire de France... alors que l'heure est à la glorification de la lutte pour la décolonisation.
La langue du pouvoir c'est le français qu'impose un Président aux discours ronflants et amphigouriques dont Petit Piment cherche à apprendre des passages entiers pour impressionner ses camarades — de quoi endommager sa mémoire. Assez imbus d'eux-mêmes, les hommes du parti au pouvoir, le PCT, n'utilisent donc pas officiellement le lingala mais un « français truffé d'adverbes et de participes présents ». La question de la langue française finira par empoisonner la vie de Petit Piment tombé dans l'alcoolisme : au neuropsychiatre qui lui trouve un syndrome de Korsakoff, Petit Piment tente d'expliquer ses problèmes. « Si je suis malade, c'est à cause des compléments circonstanciels » car si la phrase en manque « le verbe il est foutu pour de bon » et il faut en chercher dans la rue. Mis à la porte par le Dr Kilahou qui le prend pour un provocateur, Petit Piment, sur les conseils de son voisin, se tourne vers Ngampika un guérisseur qui prétend le soigner de ses troubles psychiques avant de demander très cher pour ses consultations et ses potions. Or Petit Piment n'a plus d'argent, juste de quoi acheter un couteau pour commettre son crime.
• Un regard sensible sur la société congolaise
Pointe Noire, port et poumon économique du pays, regroupe les meilleurs établissements scolaires comme le lycée Pauline Kengué (car l'auteur rend hommage à sa mère), or Dieudonné entend concurrencer par son orphelinat les lumières de la ville. Mais des inspecteurs qui subodorent malversations et détournements de fonds viennent menacer son petit royaume !
Comme à son habitude le romancier peuple avec bienveillance son roman d'un ensemble de personnages souvent savoureux, les uns gentils, les autres terribles. Le personnel de l'orphelinat illustre ainsi la soumission au terrible chef Dieudonné qui n'hésite pas à lancer une grève de la faim pour préserver son intérêt personnel, c'est lui encore qui pousse ses neveux et les membres de son ethnie alors que la douce Sabine, d'animatrice a été rétrogradée à la serpillière. C'est d'elle que l'on tient l'histoire de l'orphelinat, jadis créé pour recueillir les filles abandonnées car, dit-elle, « une vraie famille devait d'abord avoir un fils ». Sabine et Maman Fiat 500 sont les deux figures féminines les plus sympathiques et bien intentionnées aux yeux de Petit Piment. Maman Fiat 500, la tenancière, doit son surnom au cadeau d'un riche client par ailleurs opposant politique du Président qui vient lui-même surveiller les parages du bordel entouré de ses gardes du corps incapables...
Qui n'a jamais lu Mabanckou — si c'est possible — pourra trouver dans ce roman une bonne illustration de son style inimitable et de ses thèmes de prédilection.
• Alain Mabanckou. Petit Piment. Seuil, 2015, 273 pages.