Des rencontres culturelles organisées par l'Alliance française de Trivandrum, ville du sud de l'Inde, servent de cadre à ce roman plutôt réussi. Géraldine, la directrice du centre, française mariée à un musulman indien, s'est évertuée à bien recevoir ses invités prestigieux, aidée par Manon, une bénévole. Voici qu'arrivent Charlotte Greene, professeur de lettres installée à New York, et qui vient de réaliser un second film ; Roland Weinberg, un célèbre essayiste et philosophe de soixante-quatre ans, auteurs de best-sellers, suivi de Renata, sa nouvelle compagne de beaucoup sa cadette ; Raphaël Eleuthère, auteur de romans autobiographiques osés, mais que Géraldine reconnaît comme étant Jean-Michel, le beau voisin admiré en secret durant les vacances quand elle était gamine en Bretagne vingt ans plus tôt.
L'action se passe en décembre 2009 et chacun des chapitres est consacré aux activités de Roland, de Géraldine ou de Charlotte, dans le cadre des rencontres programmées et des repas entre invités, et plus encore à leurs affects attisés par la chaleur du climat local. Comme le public est attiré par un festival concurrent consacré au cinéma, nos intellos occidentaux n'attirent guère la foule, mais redécouvrent leur histoire personnelle et se remettent en question. Géraldine essaie de séduire Raphaël après avoir lu son dernier roman, Tout sur moi. Roland prend le temps de retrouver une professeure de Pondichéry où il avait séjourné il y a bien longtemps, et en même temps il met en péril sa liaison avec Renata en lui expliquant qu'il ne veut pas d'enfant d'elle, ni de quiconque. Surtout, Charlotte se plonge dans le souvenir de son amitié ancienne pour Debarati, une Indienne qu'elle a rencontrée aux Etats-Unis, hébergée dans son foyer, et qui l'a délaissée pour vivre quelques années dans son pays natal, à Cochin. Tous se mettent en danger dans ces péripéties festivalières épicées de saveurs indiennes.
Catherine Cusset glisse çà et là des remarques — souvent critiques — sur l'Inde, et pas seulement sur la restauration qui se divise entre palaces à la nourriture fade mais saine et bouis-bouis aux plats savoureux mais hostiles à l'estomac fragile de l'étranger. Le manque d'hygiène et les chiens errants, l'omniprésence de la misère et l'insistance des mendiants qui abandonnent le malayalam le temps de réclamer en anglais, le machisme ambiant et l'insécurité qui en résulte en ville et sur les plages pour les touristes occidentales, viennent pimenter les récits des expériences de ses personnages. Alors que les attentats de Bombay sont encore dans les mémoires et que des mesures exceptionnelles de sécurité entourent aéroports et hôtels, le jeune accompagnateur indien des invités lâche des menaces anti-américaines, insultantes pour Charlotte Greene : ne serait-il pas en train de monter un réseau terroriste islamiste ? Mais c'est Roland qui, sans le savoir, a pris l'avion avec un commando : deux agents du Mossad venus éliminer un dirigeant palestinien. En fait les personnages d'Indigo courent des risques très ordinaires — jalousies et imprudences en tout genre — mais tout finira bien après qu'on ait craint le pire.
La chemise indigo de Raphaël ainsi qu'un affreux jeu de mots commis par un des personnages — « Inde I Go » — peuvent expliquer le titre du roman. Sans doute est-il préférable de dire avec la 4ème de couverture que « le ciel avant l'orage est couleur indigo ». Voilà un roman très classique dans sa composition et son écriture, qui dessine plutôt bien le contraste entre une société occidentale et libre assez aisée pour consacrer du temps au marivaudage, et une société indienne sexiste et nourrie de préjugés de castes, où beaucoup survivent de quelques roupies. Toutefois aucun des problèmes de l'Inde n'est vraiment creusé — ce n'était pas le sujet — et pour la découverte de la culture du Kérala et des provinces voisines j'ai préféré Les neuf visages du coeur d'Anita Nair.
• Catherine Cusset. Indigo. - Gallimard, 2013, 307 pages. Site consacré à C. Cusset