Ces Discours à la nation (italienne) font d'Ascanio Celestini un disciple de Dario Fo. Irrévérencieux, grotesques, absurdes, loufoques, ses sketches rythmés comme des poésies évoquent toujours un « petit pays » assez calamiteux et suscitent plutôt le rire que l'indignation et la révolte bien que l'état d'esprit anarchiste soit très présent.
« Il était une fois un petit pays / Dans le petit pays il y avait Tony Mafieux /qui était le petit président du Parti des Mafieux /et Tony Corrompu le président du Parti des corrompus ». La critique radicale, que dis-je, la présentation caricaturale et guignolesque de la vie politique du pays constitue le thème majeur de ce recueil initialement paru chez Einaudi en 2011 quand s'achevait le dernier gouvernement de Berlusconi, avec la claire allusion « à la repousse des cheveux trépassés / à la restauration du ius primae noctis / mais uniquement pour les vierges bien roulées »...
Un anarchiste — c'est sûr — voudra venir lancer sa bombe au Parlement, mais d'abord il devra attacher son vélo bien comme il faut — « cet endroit est bourré de voleurs » — et puis faire la queue « comme à la caisse du supermarché » : c'est qu'il y a plein de gens venus avec la même intention : comme un barbu qui attend depuis 1948, un membre des Brigades Rouges, et même un Ben Laden qui se cache aussi dans la file d'attente, « capturé par la bureaucratie italienne ».
On doit reconnaître que les dirigeants mafieux et corrompus décident de bien étonnantes réformes, ainsi de « l'abolition du vendredi », « jour destiné prioritairement à la consommation de poisson » parce que l'un des Tony préside aux destinées de « la multinationale de la barbaque ». Mais l'intérêt général (!) n'a pas été oublié et l'école bien sûr a eu son lot de réformes : « Il fut décidé d'éliminer les maîtres qui enseignaient des matières non indispensables » et c'est ainsi que triompha « le professeur de file indienne » et sa manière radicale d'éliminer les différences. Dans ce but l'institutrice passe un par un les élèves par la fenêtre ! « Mais il faut voir les choses du bon côté /Cette année-là, l'école du petit pays établit un record : / il n'y eut aucun redoublant » !
Un nouveau mot d'ordre s'est en effet imposé dans le petit pays : l'efficacité. Les politiciens cherchent à mettre en place un “bon gouvernement” de manière à éviter le désordre et l'imprévu. C'est ainsi que dans le championnat de football tout a changé. Il y avait désormais « l' équipe des Vainqueurs » et « l'équipe des Vaincus » : « On les appelait ainsi pour ne pas créer d'imprévus dans le championnat ». Dans la justice, grand changement aussi. « Pour éviter d'interminables procès /on eut l'idée de dresser des listes de criminels hypothétiques / qui au moment où quelque crime était commis / étaient arrêtés d'office : indépendamment du fait qu'ils fussent ou non / réellement impliqués dans un vol ou un homicide ».
Racisme, sexisme, antiparlementarisme, ça dénonce à tour de bras dans ces Discours à la nation. Encore ne faut-il pas prendre à la lettre ce qui est humour au deuxième ou troisième degré ! En dehors des considérations politiques, on trouvera aussi dans ces sketches de quoi dynamiter la vie quotidienne avec Dieu au supermarché, ou l'histoire de la jolie fille dans l'autobus. Mais pour éviter l'overdose d'autodérision et de vacheries, il est conseillé au lecteur comme à la lectrice atteints de boulimie littéraire de ne pas tout absorber d'un coup.
• Ascanio Celestini. Discours à la nation.- Traduits par Christophe Mileschi. Editions Noir sur Blanc / Notabilia, 2015, 260 pages.