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Intitulé comme un livre d'hommages, cette récente fiction de Ricardo Piglia s'inscrit largement dans le monde universitaire états-unien, comme bien des romans de campus ou d'apprentissage. Mais au bout de quelques dizaines de pages, l'originalité s'affirme définitivement : ce sera un thriller.
Renzi, un romancier argentin, a été invité par Ida Brown à donner des conférences de littérature dans l'université de la côte Est où elle exerce comme spécialiste de Conrad. Ida Brown se prête aussi à une liaison avec Renzi et à la veille d'un nouveau rendez-vous galant dans un hôtel, elle est retrouvée morte dans sa voiture. À l'université on parle de suicide, mais ce n'est pas crédible, surtout pour Renzi, qui va mener son enquête pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé.
Il lui apparaît bien vite qu'Ida n'est pas seulement une femme très libre dans sa vie privée, et qu'elle a connu un personnage bien particulier, que Menéndez l'agent du FBI recherche depuis des années. En effet, Thomas Munk, un brillant mathématicien, est devenu le cerveau d'une organisation qui s'en prend au système capitaliste en éliminant des scientifiques d'universités dispersées dans tout le pays. Ida était étudiante quand Munk enseignait à Berkeley ; elle l'y a connu, Renzi retrouvera une photographie qui en témoigne. Munk se terre dans le Montana et envoie des colis piégés. Il obtient que la presse diffuse son Manifeste révolutionnaire et anti-technique où on lit que « nous sommes capables d'accepter la fin du monde, mais personne ne semble capable de concevoir la fin du capitalisme. Nous avons fini par confondre le système capitaliste avec le système solaire ». Et puis la traqua se terminera en créant la surprise pour beaucoup : « Ils l'ont arrêté. C'était un ancien étudiant de Harvard ».
Ricardo Piglia se garde bien de nous donner toutes les précisions attendues sur le sort d'Ida Brown, mais quelques indices sont disséminés. Un étudiant d'Ida Brown persiste à écrire une thèse sur le roman d'Edward Abbey, Le gang de la clef à molette, fondé sur l'éco-terrorisme. Or, Ida Brown a tenté d'écarter ce sujet de recherche sous prétexte qu'aujourd'hui on ne fait plus de thèse seulement sur un roman... Mais peut-être s'agit-il plutôt du risque de démasquer certaines activités d'Ida Brown, de celles qui vont lui coûter la vie.
Le roman aboutira à un face-à-face entre Renzi et Munk dans la prison où ces actions terroristes l'auront conduit. Venu d'Argentine, Renzi a lui aussi connu des formes violentes d'opposition au pouvoir, au temps de la dictature militaire. Mais Munk, lui, passera à la chaise électrique.
La presse française a davantage évoqué ce titre que les précédents ouvrages, plus “exotiques”, c'est-à-dire plus argentins, de Ricardo Piglia. À mon humble avis ce roman n'est peut-être pas supérieur aux précédents, mais il ajoute à la réputation de son auteur avec des allusions littéraires — à certains livres de Joseph Conrad — qui jouent un rôle déterminant dans l'attitude de l’héroïne. En outre, le monde universitaire américain semble bien campé.
Livre après livre, Ricardo Piglia s'affirme désormais comme l'auteur argentin incontournable.
• Ricardo Piglia. Pour Ida Brown. Traduit par Robert Amutio. Gallimard, 2014, 318 pages.