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Dans ce “roman” initialement publié en 1999 aux éditions Anagrama, et premier texte de Bolaño paru en français, la narratrice est une poétesse originaire de Montevideo, Auxilio Lacouture, que l'on retrouve en personnage secondaire des Détectives sauvages. Elle séjourne sans papiers à Mexico, se fait héberger ça et là, et vit de petits boulots à l'Université ou chez des poètes. Elle en rencontre tant qu'elle se présente comme « la mère des poètes du Mexique », tout à la fois muse et témoin de leurs soirées dans les cafés de Mexico DF (pour District Fédéral).
 
L'alter ego de l'auteur
 
Parmi tous les poètes dont la narratrice se souvient, Arturo Belano, alter ego de l'auteur, occupe une place particulière. Auxilio éclaire quelques moments de sa biographie.
« En 1973, il a décidé de retourner dans son pays pour faire la révolution et j'ai été la seule, à part sa famille, à aller prendre congé de lui à la gare d'autobus, car Arturo Belano est parti par voie terrestre, un long, très long voyage, plein de dangers, le voyage initiatique de tous les pauvres gamins latino-américains, parcourir ce continent absurde que nous comprenons mal ou que nous ne comprenons pas du tout. Et quand Arturito s'est penché à la fenêtre du bus pour nous dire adieu de la main, sa mère n'a pas été la seule à pleurer, moi aussi j'ai versé des larmes... »
« C'est ainsi que j'ai appris ses aventures au Guatemala, au Salvador, au Nicaragua, au Costa Rica, au Panamá (…) Ensuite, il a pris un navire à Cristóbal et le bateau l'a emmené par l'océan Pacifique jusqu'en Colombie, en Équateur, au Pérou et, finalement au Chili ».
Après le putsch de Pinochet, Bolaño passa quelques temps en prison au Chili — épisode évoqué dans d'autres textes.
« Quand Arturo est revenu au Mexique, en janvier 1974, il était différent. Allende était tombé et lui, Arturo il avait rempli son devoir (…) et sa conscience, sa terrible conscience de petit macho latino-américain, n'avait en principe rien à se reprocher. » Mais Belano reste muet sur ces événements tragiques. Plus loin dans Amuleto se trouve mentionné son départ pour d'autres horizons, hors d'Amérique latine.
 
La muse enfermée
 
Auxilio raconte comment elle s'est retrouvée enfermée dans les toilettes pour dames de la faculté des lettres de l'UNAM (Universidad Nacional Autónoma in Mexico), quand l'armée fit irruption en septembre 1968 pour mettre fin à des mois d'agitation — ce qui conduisit aux massacres de Tlatelolco. Douze jours de résistance, seule dans le campus, avant de pouvoir quitter sa cachette. « Et c'est tout, mes amis. La légende s'est répandue dans le vent du DF et dans le vent de 68, elle s'est mélangée avec les morts et les survivants et maintenant tout le monde sait qu'une femme est restée à l'université quand l'autonomie universitaire a été violée, en cette belle et funeste année. »
Le lecteur qui irait directement à l'incipit — en évitant la prière d'insérer — pourrait bien se tromper sur le ton du livre en ne lisant que les deux premières phrases : « Ça va être une histoire de terreur. Ça va être une histoire policière, un série de série noire, et d'effroi. » Or Roberto Bolaño évite de détailler les troubles et la répression des étudiants et intellectuels mexicains, pas plus que Arturo Belano ne rapporte à Auxilio les événements violents auxquels il a assisté au Chili.
En revanche, les dernières pages forment une sorte de marche funèbre allégorique, où Auxilio accompagne jusqu'à l'abîme les victimes de la place de Tlatelolco, aussi bien que l'adieu aux poètes disparus. « Et j'ai su que l'ombre qui glissait sur la grande prairie était formée d'une multitude de jeunes gens, une infinie légion de jeunes gens qui marchaient vers quelque part. Je les ai vus. J'étais trop loin pour distinguer leurs visages. Mais je les ai vus. Je ne sais pas si c'étaient des jeunes gens de chair et d'os ou si c'étaient des fantômes. Mais je les ai vus ». En chantant, « ils marchaient vers l'abîme ». « Et ce chant, c'est notre amulette » — d'où le titre. C'est sur cette phrase que s'achève ce “roman” déroutant.
 
La liste des poètes disparus
 
Amuleto est dédié au poète mexicain Mario Santiago Papasquiaro (1953-1998),­ présent dans ce roman — et dans Détectives sauvages — sous le pseudo Ulises Lima, et meilleur ami de Bolaño avec qui il fonda l'éphémère école de l'infra-réalisme en 1975 à Mexico. À travers les songes d'Auxilio, Roberto Bolaño se remémore des poètes latino-américains, pour certains inconnus en France, qu'il a rencontrés ou dont il a lu les œuvres. Mais, bizarrement, il ne fait pas de citations de leurs œuvres. Outre le nicaraguayen bien connu que fut Rubén Dario (1867-1916), voici l'uruguayenne Juana de Ibarbourou (1892-1979, la salvadorienne Lilian Serpes (1905-1985), la costaricienne Eunice Odio (1919-1974), les mexicains Pedro Garfias (1901-1967), León Felipe (1884-1968) et José Emilio Pacheco (1939-2014). Quant au chilien Vicente Huidobro (1893-1948) dont quelques textes ont été publiés en France c'était un poète marqué par le surréalisme, de même que deux femmes peintres installées à Mexico, l'anglaise Leonora Carrington (1917-2011) brièvement mentionnée, et la catalane Remedios Varo (1908-1963) plus longuement évoquée, auxquelles on peut associer le volcanique Dr Atl (1875-1964). Le name dropping auquel se livre Bolaño par la voie de sa narratrice comprend aussi des poètes de langue anglaise : W.B. Yeats, T.S. Eliot, Ezra Pound, William Carlos Williams. On doit considérer que tous sont ses auteurs préférés et que ce livre est un exercice d'admiration. Parfois les hommages littéraires de Bolaño prennent la forme d'une curieuse litanie, ainsi quand Auxilio prédit le sort d'un certain nombre d'écrivains. Je cite au hasard : « Arno Schmidt renaîtra de ses cendres en 2085 », « Witold Gombrowicz jouira d'une grande influence au-delà des limites du Rio de la Plata en 2098 », «  Carson McCullers continuera d'être lue en 2100 », ou encore «  Alice Sheldon sera une écrivaine très populaire en 2017 »... Mais tous les poètes n'obtiennent pas grâce à ses yeux, car ainsi qu'Auxilio l'affirme : « Le fait est qu'en général les jeunes poètes finissent par devenir des vieux journalistes ratés » !
 
Amuleto, bien que court, n'est pas une lecture “agréable”. Plusieurs fois j'ai eu envie de le refermer, de laisser tomber. Visiblement Bolaño ne cherche pas vraiment à plaire et son succès littéraire pourra rester une énigme aux yeux de beaucoup. Mais il a ses aficionados...
 
 
• Roberto Bolaño. Amuleto. Traduit par Emile et Nicole Martel. Les Allusifs, 2002. En poche : collection Motifs, 2008, 185 pages.
 
 
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— Documentation sur Bolaño, voir sur Wikipedia l'article en espagnol.
— Entretien avec Roberto Amutio, principal traducteur de Bolaño.
— Pour consulter le texte d'Amuleto en espagnol, cliquer i c i.
 
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Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE, #AMERIQUE LATINE, #CHILI
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