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Le samedi 28 Juillet 1984 a marqué la mémoire de M. Field, après dix jours passés à se démener pour obtenir une audience auprès du Vieux, le président Houphouët-Boigny, afin de fixer la date du procès de son père, en prison préventive à Yopougon depuis un an. Son récit paraît souvent invraisemblable ; pourtant « Tout est vrai » selon l’auteur qui l’a écrit comme « une forme d’hommage à (son) père ». Les situations ubuesques, les rencontres improbables ne manquent pas. Humour, cocasserie, autodérision, beaucoup de gouaille et de vert langage : l’ensemble est à l’image de M. Field lui-même, égocentré et beau parleur mais attachant par l’authenticité de ses sentiments pour  son père et pour cette terre africaine dont il est « mordu ».

 

Juif autrichien qui a « quitté Vienne skis aux pieds » papa Field, ouvrier en banlieue parisienne puis ingénieur, a laissé femme et enfants en France pour aller travailler en Côte d’Ivoire. Cette « grenade d’énergie », cet « inventeur né, véritable Géo Trouvetout » suscite « l’admiration exaspérée » de son fils, et ce paradoxe résume bien l’opposition entre le père autodidacte et pragmatique et M. Field l’intellectuel universitaire, néanmoins déterminé à tout mettre en œuvre pour sortir son père de la prison avant qu’il ne s’en évade car il en connaît les moindres canalisations ! L’affaire est confuse. À l’époque du « miracle ivoirien » papa Field a mis en place une audacieuse réforme du logement — la Logemad. Mais depuis la récession, explique le Ministre de la Jeunesse et des Sports, on a accusé son père, à tort selon M. Field, de malversations car « Braquer le projecteur sur un conseiller français … c’est laisser dans l’ombre quelques éminents Ivoiriens ». Papa Field s’est donc retrouvé « victime collatérale » de la corruption généralisée.
 
Ce dernier jour les efforts de M. Field ont porté leurs fruits. Son père quittera la prison… après que le Pape soit venu bénir la super basilique de Yamoussoukro. Invraisemblable ? Voire. En prison son père était bien devenu l’adjoint du directeur ! « Il faut se pincer pour y croire » note Field. De même, Fologo, rédacteur de l’unique journal local et protégé du Vieux, respecte et admire papa Field ;  pourtant il ne cesse de l’accuser dans ses éditos ! C’est ça faire de la politique dans cette « dictature tempérée par le paternalisme ».
 
À côté de ce Field du jour dévoué à la cause paternelle, le Field de la nuit c’est cigarettes, whisky et petite pépées. Il retrouve avec plaisir ce « bordel épatant », cette Afrique qui « restera à jamais (sa) grande initiatrice » sexuelle sous la houlette de Klaus, son pote déserteur de la Légion. Il apprécie la sensualité des femmes africaines « faites pour séduire ou exciter les hommes... » Propos peu flatteurs du M. Field un rien macho ?
 
Reste que les plus belles pages sont un hymne au continent noir, aussi bien les marchés, le vacarme des cris et des rires, les parfums, les couleurs, que le « luxe ostentatoire » du palais présidentiel et de sa brocante des antiquaires dans l’enfilade des salons !
 
Si Michel Field ressemble à Candide alors qu’il connaît le pays depuis son adolescence, s’il semble inadapté, c’est que l’Afrique le surprend encore tant elle reste « imprédictible, inattendue et déconcertante », dans un « jaillissement continuel »  où se mêlent « le trivial et le sublime ». Vécu authentique et aventure romancée, ce récit captive et enrichit grâce à la verve de son auteur.
 
 
• Michel Field. Le vieux Blanc d'Abidjan dans sa prison de Yopougon. - Julliard, 2016, 140 pages.
 
 
Chroniqué par Kate
 
 
Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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