De Platon aux neurosciences contemporaines, l’anxiété représente « la forme la plus connue de pathologie mentale » et semble une constante de la condition humaine. Si l’anxiété « moyenne » augmente la vigilance, accroît les performances professionnelles autant que la créativité, l’anxiété pathologique handicape au quotidien. Celui qui en souffre « se fait du mauvais sang pour rien, pense trop et voit toujours l’avenir en noir ». Hypersensible aux critiques négatives, il entretient une mauvaise image de lui-même.
Anxiété, angoisse, dépression, les spécialistes —psychiatres, comportementalistes, généticiens—, s’opposent quant à la définition de ce trouble et de ses origines. Scott Stossel, éditorialiste américain qui souffre depuis la petite enfance d’une forme d’anxiété sévère et invalidante, relate avec courage et humour son combat quotidien. Convoquant autant la philosophie que les sciences, son essai richement documenté est éclairant.
Hypocondriaque, Scott Stossel subit de violentes crises de panique en raison de ses multiples phobies — de l’avion, de vomir, de parler en public. En plus d’un père alcoolique, il tient sans doute une prédisposition de sa lignée maternelle ; son grand-père, sa mère et sa sœur souffraient d’anxiété grave. Plus inquiétant : ses deux enfants de six et neuf ans présentent déjà les mêmes symptômes. Depuis l’âge de dix ans il a expérimenté un nombre considérable d’antidépresseurs — Prozac, Valium, Xanax —, sans qu’aucun ne lui procure une amélioration durable. « Le fait d’écrire va vous aider à aller mieux » lui a affirmé son médecin. Stossel s’est prouvé à lui-même sa compétence et cet ouvrage constitue son premier véritable acte résilient, une nouvelle thérapie et une grande espérance.
On a longtemps considéré l’anxiété, la neurasthénie, la dépression, comme une « faiblesse de caractère » ce qui qui entraînait honte et culpabilisation chez les personnes concernées. Aux États-Unis encore en 1990, 62% des Américains méprisaient les anxieux ; en 2016 seulement 28%. Dans tous les pays, selon les sources de l’auteur, l’opinion perçoit l’anxiété comme un réel problème de santé publique, d’autant que les groupes pharmaceutiques y contribuent. Les causes de ce trouble sont multiples ; aucune à elle seule ne le provoque, mais l’interaction de quelques unes. Pour les psychanalystes l’anxiété exprime la répression de pensées taboues, surtout sexuelles, et de conflits intérieurs ; pour les généticiens et neurobiologistes, elle tient à une faiblesse des neurotransmetteurs de la sérotonine, base de nos émotions et de nos pensées. Cette découverte à induit une explosion de la pharmacologie, comme si notre système neuronal était fixé, figé avec ses lacunes, alors que sa plasticité ne fait plus de doute aujourd’hui : à preuve, l’élaboration de ce livre a réactivé les circuits neuronaux de S. Stossel, tout en nuisant moins à ses facultés mentales que les psychotropes et les anxiolytiques. D’ailleurs il dénonce avec insistance les lobbies : on a médicalisé l’anxiété et les médicaments ont engendré un nouveau syndrome ! Ainsi « le nombre de diagnostics explose et l’industrie pharmaceutiques engrange des milliards de dollars de profit ». Outre la part de la génétique ou de la neurologie, le contexte peut aussi intervenir dans le trouble anxieux. Si une mère en souffre, elle le transmet à son bébé ; si elle se montre surprotectrice ou, à l’inverse, peu affectueuse, son enfant adolescent sera insécure, fusionnel, dépendant. Mais surtout la civilisation contemporaine et ses diverses menaces — terrorisme, chômage, crise économique —, fragilisent le psychisme. Selon S. Stossel, chacun est désormais seul, confronté à de multiples choix ; cette situation inconnue des générations précédentes engendre des peurs et multiplie les cas d’anxiété pathologique. Mais les paliers d’angoisse ne sont pas constants. S. Stossel était au plus mal quand ses parents ont divorcé et qu’il a connu des difficultés professionnelles et amoureuses ; celles-ci résolues la crise a passé sans qu’il puisse évaluer la part qui revenait à ses nombreux traitements.
L’anxiété a de multiples causes ; la surmédicalisation n’est en rien la solution miracle à long terme. Si S. Stossel, malgré son angoisse existentielle permanente, est parvenu à « rester productif et à poursuivre une carrière lucrative pendant plus de vingt ans », c’est parce qu’il a réussi à mobiliser sa volonté personnelle pour apprivoiser son anxiété et la rendre compatible avec sa vie d’homme. C’est un bel exemple qui devrait aider les anxieux à moins « broyer du noir ».
• Scott Stossel. Anxiété. Les tribulations d'un angoissé chronique en quête de paix intérieure. Traduit de l'américain par Daniel Roche. Belfond, 2016, 438 pages.
Chroniqué par Kate