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Trois nouvelles dans ce recueil intitulé « Mémoires de Mosby ». C'est aussi le titre du dernier texte initialement publié en 1968, où un certain Willis Mosby rédige ses Mémoires en mettant à profit un séjour au Mexique. Il a fait partie de l'OSS durant la guerre mondiale et, à ce titre ou un autre, a séjourné à Paris dès 1945, occasion de faire des rencontres dont il se souvent avec ironie. Mosby se souvient d'un certain Lustgarten, un rêveur socialiste qui n'eut pour les affaires ni don ni chance. Il se rappelle qu'il a fréquenté des célébrités mais que « Sartre avait refusé de le rencontrer ; il croyait que tous les Américains — sauf les Noirs — étaient des agents secrets ». Dans ses relations se trouva aussi un poète du nom de Ruskin : « Il expliquait, par exemple, que la France avait fusillé ses poètes collaborateurs. L'Amérique, qui n'avait pas de poètes à gaspiller, avait mis Ezra Pound à St. Elizabeth.» Le même Ruskin jugeait, en interprétant Hegel, que l'Amérique n'avait pas marqué l'histoire et que c'était « historiquement un pays assez creux. » C'est assez dire le ton humoristique de Saul Bellow.
 
L'humour caustique se trouve déjà dans le texte central du recueil, « Le vieux système », appliqué cette fois-ci non à des intellectuels réels ou supposés, mais à une famille juive aux États-Unis. Le récit se déroule d'après le souvenir — là encore — d'un certain docteur Braun qui pense à ses cousins. Au temps des tsars, son oncle Braun avait été déporté à Sakhalin avant de s'en évader et de gagner Vancouver. Ensuite il s'installa avec femme et enfants dans l'Etat de New York. Là, Tante Rose et Oncle Braun ont trimé dur et leur fils Isaac fit fortune après la crise de 1929. Mais la fortune d'Isaac s'était bâtie sans le soutien de ses frères et sa sœur Tina lui en gardera rancœur jusqu'à la fin de ses jours. Isaac a épousé Clara la fille d'un fermier juif, un homme honnête : « Il récite les Psaumes même quand il conduit. Il les a toujours sous sa banquette ». Isaac fait de même, devenant « un pater familias juif à l'ancienne mode » d'où sans doute le titre de la nouvelle. « L'orthodoxie d'Isaac ne fit que s'accroître avec sa fortune » et justement sa sœur dira de lui : « Il lit le Tehillim tout haut dans sa Caddy climatisée quand il y a un long train de marchandises au passage à niveau. Cette canaille ! Il ferait les poches de Dieu.» On a l'impression que l'auteur se tourne vers nous et nous fait un clin d'œil quand il glisse aussitôt : « On ne pouvait s'empêcher de penser quels dons de la métaphore il y avait chez tous ces Braun ».
 
« En quittant la maison jaune », le texte inaugural du recueil nous entraîne loin de “Jew York” et de la communauté juive américaine. Depuis vingt ans, Hattie qui a fait des études musicales en France, a échoué dans un bled paumé à prétention touristique puisque bordant un pittoresque lac du Far West. Elle est divorcée d'un snob philadelphien mais en a gardé le patronyme, Waggoner. Hattie ne possédait plus rien d'autre avant de se faire héberger par une femme solitaire, India, et d'hériter de sa maison jaune près du lac. Mais aujourd'hui, alcoolique, irritable et affaiblie, Hattie peut-elle encore y vivre seule ? Peut-elle encore compter sur ses rares voisins, les Rolfe, les Pace et Amy Walters la veuve du chercheur d'or ?
Saul Bellow possède un sens précieux de la narration et très certainement une riche imagination et il utilise sans réserve un humour spécifique. Le rabbin qu'Isaac Braun va consulter à New York est clair sur ce point : « Nos Juifs aiment plaisanter sur leur lit de mort (…) Les gens supposent que Dieu a le sens de l'humour ». À qui l'aurait oublié, il faut rappeler que Saul Bellow est lui-même juif... alors, on veut bien le croire.
 
 
• Saul Bellow. Mémoires de Mosby et autres nouvelles. Traduit par Jean Rosenthal. Gallimard, L'Imaginaire, 1975,198 pages.
 
 
 
 
 
Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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