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Pékinoise de naissance, Xinran a animé en Chine des radios locales avant de s’installer en 1997 au Royaume Uni où elle a fondé une association, The Mothers’ Bridge of Love (*), consacrée aux échanges entre Asie et Occident. Auteure de nombreux livres sur son pays, elle brosse ici le portrait de l’enfant chinois unique en se fondant, en particulier, sur les interviews d’étudiants de la première génération, celle des années 1970-1979. Tout comme ceux des années 80 puis 90, ces jeunes adultes sont mal dans leur vie personnelle. Bien que leurs milieux sociaux et leurs parcours diffèrent, les propos de ces étudiants des années 1970 révèlent des traits communs.

Par souci de leur épargner ce qu’ils avaient vécu pendant la Révolution Culturelle, leurs parents les ont surprotégés. Selon les sociologues chinois, « les enfants uniques sont choyés (...), idolâtrés (...) au point qu’ils n’ont jamais l’occasion de prendre des responsabilités », comme se faire la cuisine, confie Du Zhuang. Xinran poursuit qu’ils ont manqué « de pratique de l’amitié, du partage, de l’entraide, de la tolérance. C’était comme si le monde n’avait appartenu qu’à eux ». Ces enfants représentaient « le petit soleil », « le petit empereur »  pour leurs parents ; mais ceux-ci les ont privés de leur présence, de leur écoute affectueuse, trop accaparés par leur souci de « sauver la face », de montrer leur réussite sociale. Ego-centrés et solitaires, beaucoup de ces jeunes de la génération 70 ignorent l’altruisme et la gratitude ; inadaptés à la vie sociale, certains nourrissent de la honte, voire de la haine à l’égard de leurs parents. Pour ceux qui en ont les moyens, la poursuite d’études à l’étranger les force à grandir. Xinran et ses bénévoles les aident à passer de la rancune à l’autonomie constructive d’un projet de vie. Ce n’est pas sans peine car si « les enfants chinois ont été la propriété de leurs parents », ils l’ont aussi été du système scolaire qui « met exagérément l’accent sur la mémorisation » et la compétition : réussir de bonnes études c’est assurer son ascension sociale mais aussi payer la dette de reconnaissance à ses parents. Selon l’auteure, en Chine il faut « savoir avant de comprendre », alors qu’en Occident il s’agit « de comprendre avant de savoir ». Les élèves chinois recopient, apprennent par cœur et ignorent ce qu’est « une opinion personnelle » ! La génération des années 70, arrogante et entravée dans les relations humaines, ne rêve que de vêtements de marque et de voitures de luxe.

Par ailleurs les « fourmis laborieuses », les étudiants pauvres souvent d’origine rurale, de cette même génération ont eux aussi connu la solitude et la privation affective. Ne pouvant guère partir à l’étranger ils sont mal vus des étudiants citadins. Pourtant note Xiran « les enfants qui ont grandi dans la misère (…) sont capables d’apprécier chaque miette de ce qu’ils ont » alors que « ceux qui ont été bien nourris » se lamentent sur leur sort. Pourquoi tant d’enfants issus de familles riches considèrent-ils leurs proches comme des ennemis ? 

Dans cet ouvrage on prend la mesure des fractures de la société chinoise actuelle, entre les générations, entre riches et pauvres, entre villes et campagnes. Xinran insiste sur le manque d’humanité, le recul de la conscience morale, détériorés selon elle par l’extension de l’individualisme et le désir d’enrichissement. « Les Chinois sont convaincus que le bonheur est uniquement lié à l’accroissement du PIB et à la richesse matérielle ».

La violence innerve la société, deux tragédies parmi d’autres en témoignent. En 2010 Yao Jiaxin, étudiant aisé, renverse avec sa voiture une jeune mère paysanne ; non seulement il ne lui porte pas secours mais, par crainte qu’elle ne lui attire des ennuis, la poignarde de huit coups de couteau... Il a été exécuté en 2011. Cette même année, une petite fille de deux ans est écrasée en pleine ville par deux véhicules : dix-huit personnes passent à côté de son corps sans intervenir. La 19ème la porte, mourante, à sa mère...

En trente ans la Chine a réalisé un prodigieux bond en avant, mais elle a perdu son sens de l’humain. Son avenir dépend cependant de ces trois générations d’enfants uniques, hyper-connectés, qui, sur leurs blogs remettent le pouvoir en question, mais dont le cœur reste une pierre. Comme l’exprime le poème exergue, le devoir de « ces solitaires dans une mer d’abondance » sera de « construire des ponts » entre eux et avec leur pays.

Xinran les exhorte à lire le Dizigui (*), ce traité d’éducation inspiré de Confucius aujourd’hui délaissé pour obsolescence par ses détracteurs, afin de retrouver le sens des valeurs et de la culture chinoise traditionnelles. C’est un positionnement moral qui rejoint celui de l’actuel Président de la République Populaire de Chine. Lire cet essai c’est se donner les moyens de comprendre la Chine d’aujourd’hui.

• XINRAN. L'Enfant unique. Traduit de l'anglais par Françoise Nagel. Editions Picquier, 2016, 379 pages.

(*) Voir annexes en fin de livre.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE CHINE, #ESSAIS, #EDUCATION
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