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   Ce livre vient compléter les recherches publiées par l’historien américain sous le titre « A bord du négrier ». Il se consacre ici à l’histoire de l’une des rares révoltes réussies par des esclaves sur un navire négrier, juste quelques années avant que la France ne décide de mettre fin à l'esclavage dans son empire colonial.

   La révolte ne s'est pas produite durant la traversée de l'Atlantique mais durant un transfert d'esclaves entre La Havane et un autre port cubain sur une goélette appelée l'Amistad, qui n'était pas le navire sur lequel ils avaient effectué la traversée de l'Atlantique. La nuit du 28 juin 1839, les révoltés s'emparent du bateau et pensent pouvoir rentrer en Afrique. Le capitaine a été tué. Les mutinés ne savent pas comment naviguer. Ils s'en remettent aux deux propriétaires des esclaves, anciens marins présents à bord, qui sous la menace promettent de les conduire dans leur pays. En fait, durant la nuit l'Amistad fait route vers les Etats-Unis. Après diverses péripéties, il touche Long Island, et tous se retrouvent au Connecticut, donc dans un Etat qui ne reconnaît pas l'esclavage. Comme les Etats-Unis sont liés par traité à l'Espagne pour régler des contentieux maritimes mais que d'autre part l'Espagne a accepté en 1820 de proclamer illégale la traite des Noirs, le sort de ces hommes, femmes et enfants qui se sont libérés des chaînes de l'esclavage se heurte en réalité à quelques obstacles juridiques. D'où une série de procès, jusqu'à ce qu'en 1841 ce soit la Cour Suprême qui tranche en faveur de leur liberté et permette aux 34 anciens esclaves de rentrer en Sierra Leone. Ils atteignirent le port de Freetown le 13 janvier 1842... en même temps qu'un navire négrier capturé par une croisière britannique ! En épilogue, l'auteur raconte l'expédition qui le conduisit en 2003 en Sierra Leone pour retrouver les traces de Lomboko et d'une possible descendance des rescapés de cette aventure.

   Les points forts de l'étude de Marcus Rediker concernent d'abord l'origine africaine des captifs, d'ethnies différentes, mendé principalement, mais tous venus de ce qui est aujourd'hui la Sierra Leone, embarqués avec des centaines d'autres compatriotes sur le Teçora, à Lomboko, site utilisé par le marchand d'esclaves Pedro Blanco, à l'embouchure de la Gallinas, en cheville avec un roi vaï local. L'auteur décrit en détail la rébellion sur l'Amistad et l'errance de la goélette entre Cuba et Long Island via les Bahamas. L'historien présente Cinqué, le meneur de la révolte, comme un personnage charismatique qui a su mobiliser plusieurs de ses compagnons d'infortune, d'autant qu'ils avaient en commun d'avoir été initiés au Poro, et ils ont agi en guerriers. Le vers de Byron s'applique bien ici : "Celui qui cherche à s'affranchir doit porter le premier coup".

   Plus que les démêlés judiciaires résultant de leur arrivée aux Etats-Unis, l'auteur étudie de près leur sort en prison, à New Haven notamment, détaille la manière dont ils se présentent comme « peuple mendé », et montre longuement que leur sort a mobilisé les abolitionnistes conduits par Lewis Tappan, et les chrétiens de diverses églises du Nord-Est des Etats-Unis. C'est donc un document passionnant sur l'état de l'opinion publique en Nouvelle-Angleterre : des artistes ont fait le portrait des révoltés, la presse du Connecticut et de New-York a publié de nombreux articles sur leur odyssée ; plusieurs églises de la région ont reçu la visite des anciens esclaves en 1841 quand il s'est agi de recueillir des fonds pour préparer leur retour au pays. Cinqué et ses camarades ont ému l'opinion des Africains-Américains et des Blancs abolitionnistes et même indirectement contribué à lancer des missionnaires évangélistes vers le continent noir. Si en prison Cinqué et ses compatriotes reçoivent des visites de curieux et de sympathisants, s'entretiennent longuement avec des traducteurs (difficiles à trouver), se mettent à l'anglais et apprennent à lire dans la Bible, on comprend bien qu'ils le font plus pour aider au succès de leur cause qu'à se faire chrétiens. L'affaire des révoltés de l'Amistad marque dont un tournant dans l'histoire de l'Atlantique au XIXè siècle et, entre la révolte de Nat Turner et l'aventure de John Brown, c'est un événement qui a fait date dans l'histoire de l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis. Une réplique de la Amistad est basée au port de Mystic, Connecticut.

   Le public pressé pourra prendre connaissance de l'article que Marcus Rediker a signé dans la revue L'Histoire en 2015 (n°415), sans oublier le film de Steven Spielberg (2007).

   • Marcus REDIKER. Les révoltés de l’Amistad. Une odyssée atlantique (1839-1842). Traduit par Aurélien Blanchard, Seuil, 2015, 404 pages. Cahier d'illustrations inclus.  



 

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1789-1900, #ESCLAVAGE & COLONISATION, #ETATS-UNIS
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