Etat d'urgence, loi martiale ! Ces expressions accompagnent un événement majeur qui vint plomber le cours de la révolution : le 21 juin 1791, le roi Louis XVI avait fui le palais des Tuileries avec femme et enfants dans une grosse berline jaune et noire en direction de la frontière de l'Est... L'historien californien Timothy Tackett ne livre pas seulement ici la version papier de l'événement mis en images par Ettore Scola mais une étude lourde de sens faite pour réveiller tous ceux qui s'intéressent à la France en révolution plus qu'aux robes, chapeaux et amants supposés de la reine.
L'auteur décrit les faits avec minutie. L'essai expose d'abord comment le roi qui voyageait en bourgeois fut reconnu puis stoppé à Varennes, à quelques kilomètres de la forteresse de Montmédy où le général Bouillé s'apprêtait à le recevoir, entouré de troupes nombreuses, en prévision d'une action militaire pour mettre un terme à la Révolution. Il faut alors analyser la personnalité de Louis XVI, rappeler sa popularité, égale à celle de Henri IV depuis qu'il avait eu un fils pour lui succéder, rappeler comment devenu roi des Français dans le cadre d'une monarchie constitutionnelle qui débutait il avait en réalité fait preuve de duplicité. Le roi approuvait officiellement à peu près tout des actes de l'Assemblée nationale mais condamnait en secret les changements, soutenu par une reine qui rejetait tout de la révolution. Vraisemblablement c'est elle qui a demandé à son ami Fersen d'organiser l'exfiltration des Tuileries où la famille royale était très surveillée. L'opération a failli réussir. Elle échoua un peu par la faute du roi lui-même qui s'est trop montré à la fenêtre de sa berline et lors des arrêts successifs. Elle échoua surtout par la résistance populaire : une population déjà inquiète, rendue plus inquiète encore par les mouvements des troupes du marquis de Bouillé, par les rumeurs d'invasion, et organisée en milices prêtes à se mobiliser.
Les nouvelles de la fuite puis de son arrêt à Varennes se sont répandues dans le pays à toute vitesse — en témoigne la carte de la page 186 — et ceci nous amène à ce qui est sans doute le plus novateur de ce livre : montrer quel choc ce fut pour l'ensemble du pays. Un contemporain ne parle-t-il pas d' « un coup électrique » ? L'auteur a dépouillé l'immense correspondance qui est parvenue de tous les départements à l'Assemblée nationale. Villes, villages, assemblées électorales, clubs politiques : partout on a considéré qu'il fallait réagir et faire connaître son point de vue à Paris mais aussi à la ville voisine. En quelques jours le « père de la nation » est devenu « un roi parjure ». La réaction fut d'autant plus violente et atterrée que l'on avait cru à son soutien au nouveau régime. Il s'opéra alors la « radicalisation » d'une bonne part de la population, au sein des assemblées populaires notamment avec la naissance du mouvement des Sans-Culottes. Localement les gens s'enflammaient ; Timothy Tackett donne des exemples de réactions extrêmes, surtout contre des nobles, car les rumeurs allaient bon train et que l'on redoutait ça et là les complots des aristocrates devenus suspects. Dès la fuite connue, l'Assemblée nationale abandonna l'état de droit pour l'état d'urgence. Les hommes politiques n'hésitèrent pas à mettre entre parenthèses les libertés civiles pour lesquels ils avaient fait 1789 et à prôner des mesures d'exception tant on se croyait plongé dans un péril majeur.
L'auteur, plutôt critique à l'égard des interprétations des historiens marxistes ou libéraux qui l'ont précédé, trouve dans le choc de juin 1791 une des sources de la Terreur — c'est la thèse que souligne le sous-titre de cet ouvrage qui a le mérite d'être remarquablement écrit. L'été 1791 passa : les députés, fatigués, se dépêchèrent de terminer la constitution pour laquelle ils avaient tant travaillé. On jugea en commission que tout n'était pas de la faute de Louis et on le rétablit à la tête de l'Etat et de l'exécutif et on mit fin à l'état d'urgence. On connaît bien la suite. Le roi continua de correspondre avec la cour de Vienne pour conspirer contre la Révolution. L'idée d'un régime sans roi paraissait utopique avant le 21 juin, mais onze mois plus tard il faudrait se résoudre à proclamer la République pour laquelle en juillet 1791 les manifestants du Champ de Mars avaient été brutalement mitraillés par la Garde nationale de La Fayette en accord avec le maire Bailly. Bientôt viendraient la guerre, la guillotine, la Terreur.
Un livre d'histoire passionnant, à la fois à la pointe de la recherche et d'une lecture très accessible.
• Timothy Tackett. Le roi s'enfuit. Varennes et l'origine de la Terreur. Traduit par Alain Spiess. Préface de Michel Vovelle. La Découverte/Poche, 2007, 285 pages.