Amsterdam, octobre 1686. Le marchand Johannes Brandt, quadragénaire et partenaire de la VOC, vient d'épouser une jeune provinciale de dix-huit ans, Petronella Oortman issue d'une famille respectable mais ruinée. C'est elle l'héroïne à laquelle on s'attache. La voici qui s'installe dans la maison de son mari et apprend à connaître sa vie nouvelle de femme d'homme d'affaires dans une société calviniste à la fois prospère, pieuse et puritaine. Mais au lieu d'une vie de couple ordinaire, le mari lui offre en cadeau de mariage une maison miniature où elle disposera meubles et personnages miniatures comme si elle devait seulement jouer à la poupée. L'agencement de cette maison est affaire de miniaturiste — d'où le titre de ce premier roman fascinant et cette absence d'article qui crée un premier suspense relativement au sexe de l'artiste qui expédie bientôt à Nella des reproductions saisissantes de tous les personnages qui vivent dans la maison au bord du canal y compris les deux chiens que le marchand adore.
La description de la société amstelladamoise du XVIIe siècle est parfaite. Elle s'appuie sur les tableaux de peinture hollandaise présents sur les murs de la maison des Brandt. Assez souvent on retrouve les images d'intérieurs hollandais ou de scènes de la vie quotidienne que l'on a vues par exemple dans les collections du Rijksmuseum. L'importation des produits tropicaux par les marchands hollandais, l'activité des guildes, la morale calviniste stricte en matière sexuelle : on dirait que rien n'est oublié pour satisfaire l'attente des lecteurs.
Johannes et Nella ne vivent pas seuls. Ils sont servis par une domestique, Cornelia, à peine plus âgée que sa nouvelle patronne, et par Otto, un jeune Africain que le négociant hollandais à soustrait à un destin d'esclave et qu'il a formé pour devenir son majordome. Et puis surtout il y a Marin ; c'est la sœur de Johannes, la vraie maîtresse de maison, au courant des affaires de son frère, curieusement restée célibataire et bien mystérieuse pour Nella comme pour le lecteur. D'ailleurs qu'est-ce qui n'est pas énigmatique dans ce roman ? Sa construction même crée le mystère puisque tout commence par la fin.
L'œuvre s'ouvre en effet sur une cérémonie à la Vieille Eglise d'Amsterdam le mardi 14 janvier 1687. Une femme se cache dans les stalles du chœur pour assister discrètement à des funérailles d'une personne inhumée dans l'église et quand tout est fini elle dépose son offrande sur la pierre tombale, c'est « une maison miniature, assez petite pour tenir dans sa paume, neuf pièces et cinq personnages confectionnés avec un art consommé, travaillés hors du temps ». Ce prologue est comme l'épilogue que l'on aurait changé de place et le roman va combler un trimestre de temps durant lequel une jeune fille sans expérience va peu à peu prendre sa vie en main.
Au fil de l'intrigue, on s'interroge sur le comportement des uns et des autres, sur la froideur de Marin face à sa jeune belle-sœur, sur la distance que Johannes conserve à l'égard de Nella, sans oublier l'origine des miniatures... Leur créateur, tel un deus ex-machina, voyeur, sorcier, devin, joue avec les destins comme un romancier avec ses personnages — et c'est au féminin qu'il faudra redire ces mots. La tragédie des Brandt se noue au tiers du roman quand Nella débarque à l'improviste au bureau de son mari, « légère comme un chat, excitée à l'idée de la surprise qu'elle va lui faire. » Les rebondissements suivants tiendront en haleine le lecteur : pour un premier roman c'est une réussite incontestable !
Jessie Burton confesse que le point de départ de son écriture a été la visite du Rijksmuseum où est conservée la maison miniature de Petronella. Comme quoi c'est bénéfique de fréquenter les musées...
• Jessie Burton. Miniaturiste. Traduit par Dominique Letellier, Gallimard, 2015, 504 pages.