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Alex-Li Tandem, fils d'un médecin chinois nommé Tan et d'une mère juive prénommée Sarah, est la figure centrale de ce livre surprenant. Après un prologue où il assiste à douze ans à un match de catch où le principal perdant n'est pas sur le ring, nous retrouvons Alex quinze ans plus tard, toujours habitant Londres, mais devenu autographiste. Il est rare de comprendre aussi vite le titre d'un roman contemporain ! Oui : le héros fait commerce d'autographes...
 

Alex-Li est métisse —comme la romancière anglaise— et la première partie du roman se place sous le signe de la Kabbale tandis que la seconde se déroule sous les auspices du Tao et du zen ! En fait c'est sa filiation juive qui s'impose : le prologue consacré au combat de catch s'appelle le zohar et l'épilogue le kaddish. La dimension juive de l'intrigue s'enrichit de chapitres dénommés selon les dix sephiroth, réunis en un Arbre de Vie (pages 102 et illustration ci-dessous) suivi de l'alphabet hébraïque. Le site http://www.kabbale.eu/ donnera au goy de la rue les explications indispensables... Avec un peu de chance le lecteur arrivera peut-être à trouver quelque(s) rapport(s) entre le contenu des chapitres du roman et les sephirot... Comme par exemple mûrir et donner du sens à sa vie malgré l'insouciance de sa génération.

Extrait 1 - « Sur le mur du fond, dix ans plus tôt, Adam avait peint un diagramme kabbalistique assez grossier, dix cercles étrangement disposés. Cétaient, selon Adam, les dix sphères sacrées, contenant chacune un attribut divin, l'un des sephiroth. Ou bien c'étaient les dix branches de I’Arbre de Vie, montrant chacune un aspect de la puissance divine. Ou encore les dix noms de Dieu, dix façons pour lui de se manifester. C'étaient également les dix parties du corps d’Adam, le premier homme. Les Dix Commandements. Les dix globes de lumière à partir desquels a été créé le monde. Connus également comme étant les dix visages du roi. Ou encore comme la Voie des Sphères » :

sephiroth

 
 
Ce n'est donc pas un roman sur le métissage culturel puisque c'est la référence hébraïque qui domine. Par ailleurs, le lecteur peut légitimement se poser la question de la pertinence de tant de références juives, sinon pour donner de l'étoffe et faire la décoration de l'œuvre. De ce fait, l'humour juif se montre à divers endroits et sa manifestation la plus forte reste l'histoire d'une “disputatio”, un débat théologique par gestes entre un pape et un rabbin, une parodie savoureuse sous le signe du qui pro quo (encadré page 148 reproduit ici) :

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Extrait 2 — L’Histoire du pape et du grand rabbin

Il y a plusieurs siècles, le pape avait décrété l'expulsion de tous les Juifs d’Italie. Naturellement, cette décision provoqua de vives protestations au sein de la communauté juive, si bien que le pape lui proposa un marché. Il prendrait part à un débat théologique avec un chef spirituel de la communauté juive. Si ce dernier remportait le débat, les Juifs seraient autorisés à rester en Italie. Si le pape gagnait, les Juifs seraient obligés de partir.

La communauté juive se réunit et choisit un vieux rabbin, Moishe, pour la représenter au débat. Mais Rabbi Moishe ne parlait pas latin, et le pape ne parlait pas yiddish. On convint donc que le débat serait « silencieux ».

Le jour du grand débat, le pape et Rabbi Moishe s'assirent l'un en face de l'autre. Ils restèrent immobiles une bonne minute, jusqu'à ce que le pape tende la main et lève trois doigts. Le rabbin soutint son regard et leva un seul doigt.

Puis le pape fit tourner un doigt autour de sa tête. Rabbi Moishe désigna le sol. Alors le pape produisit une hostie et un calice de vin. Rabbi Moishe sortit une pomme. Là-dessus, le pape se leva et dit : « Je reconnais ma défaite. Cet homme a eu le dessus. Les Juifs peuvent rester. »

Plus tard, les cardinaux se rassemblèrent autour du pape pour lui demander ce qui s'était passé. Le pape dit : « D’abord, j'ai levé trois doigts pour représenter la Trinité. Il a répondu en levant un seul doigt, pour me rappeler que malgré tout il n'y a qu'un seul Dieu, commun à nos deux religions. Alors j'ai fait tourner mon doigt autour de moi pour lui montrer que Dieu était tout autour de nous. Il a répondu en désignant le sol pour montrer que Dieu est aussi ici-bas avec nous. Enfin, j'ai sorti le vin et l'hostie pour montrer que Dieu nous absout de nos péchés. Il a sorti une pomme pour me rappeler le Péché originel. Il avait réponse à tout. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? »

Pendant ce temps, la communauté juive se pressait autour de Rabbi Moishe pour lui demander ce qui s'était passé. « Eh bien, dit Moishe, d'abord il m’a dit : “Vous les Juifs, vous avez trois jours pour vous en aller." Alors je lui ai dit : "Pas un seul d'entre nous ne partira d'ici." Alors il me dit que toute la ville va être vidée de ses Juifs. Et moi je lui dis : "Écoutez-moi, monsieur le pape, nous les Juifs… on reste ici!"

— Et alors? demanda une femme.

— Je ne sais pas, dit Rabbi Moishe. On s'est arrêtés pour manger.»

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Notre sympathique (?) héros Alex-Li Tandem vit au milieu d'amis fort divers, certains étant rabbins, d'autres seulement réunis par la passion des collectionneurs d'autographes. L'aventure l'amène à effectuer un aller-retour jusqu'à Brooklyn à la recherche d'une actrice du temps du cinéma hollywoodien des années 1930. Naturellement cette fameuse Kitty, elle en avait signé des autographes ! Le sujet se prête donc à de nombreuses allusions au cinéma américain d'autrefois, par exemple au film “Casablanca”. Il se prête aussi à aller dans les salles des ventes pour assister à des enchères d'objets fétiches pour collectionneurs de rêves sur pellicules et de détails de la biographie des stars.
L'auteure aime aussi que son personnage qui ne se soucie jamais de consommer kasher écluse beaucoup d'alcool. Par exemple, Alex se lance un soir dans un match hilarant au comptoir d'un bar : consommer tout un alphabet de boissons classées de la lettre A jusqu'à la lettre Z. Si vous lisez ce roman déjanté vous saurez à quelle lettre la consommation d'Alex-Li Tandem s'est arrêtée. Extravagant par son style, ce roman l'est aussi par ses dentelles de détails qui m'ont fait penser à un imbroglio de fractales. Ou bien on crie à la stupidité ou l'on en devient fan. À vous de choisir.
 
•Zadie Smith. L'homme à l'autographe. Traduit par Jamila et Serge Chauvin. Gallimard, 2005, 405 pages. (Folio, 2006).
 
Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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