La collection “Voyageurs” des éditions Payot a accueilli plusieurs titres de la suissesse Annemarie Schwarzenbach. Il ne s'agit aucunement d'une étude sociologique ou démographique ! Elle en est à son troisième voyage en Perse et à cette occasion a épousé à Téhéran le diplomate français Claude Clarac — rencontré à l'Ecole polytechnique de Zurich — mais dont ce texte ne fait mention qu'une seule fois, au début de leur expédition à dos de mulets vers la mal nommée Vallée heureuse : « Je vis Claude passer devant, son casque colonial baissé sur la nuque ».
Perchée dans sa vallée inhospitalière, l'aventurière se remémore entre autres les deux chantiers de fouilles auxquels elle participa en Iran. « Les nuits de Persépolis étaient des nuits faciles... ; il y avait ces conversations légères et tristes, et l'ivresse légère et agréable due à la vodka ». Elle y avait retrouvé des Américains qui avaient travaillé pour la NRA. Tout au contraire de Raghès la ville morte voisine de Téhéran : « il y avait des nuits sans aucune voix amicale, remplies de bruits d'un monde inconnu. Le nuage de poussière qui nous séparait de la capitale habitée et de ses rues animées était quasiment insurmontable. Car la région qu'il recouvrait et enveloppait n'était pas une terre ordinaire. Depuis plusieurs siècles, c'était un champ de ruines ; après l'attaque des Mongols, plus personne ne s'était établi ici, et à chaque coup de bêche on tombe sur des vestiges de murs, des fragment et les traces de la grande destruction ». Le voisinage des ruines et l'archéologie ne sont sans doute pas des médications recommandées pour lutter contre son mal de vivre...
Dans cette vallée perchée proches du volcan Demavend, — « les montagnes alentour ne sont même pas hostiles, elles sont seulement trop grandes » — Annemarie vit une fois de plus un séjour tourmenté par d'incessantes angoisses. Qu'est-elle venue cherche en Perse ? Le ciel étoilé et pur de la haute montagne ? L'observation des caravanes de chameaux conduites par les nomades ? « Qu'allez-vous faire en Perse ? » lui avait demandé Malraux « seulement pour être très loin ? » Oui sans doute, à la fois fuir sa mère et la Suisse, se chercher elle-même après une tentative de suicide, et tenter d'oublier les “jumeaux” idolâtrés Erika et Klaus Mann. D'où une nouvelle passion, cette fois-ci pour la fille d'un diplomate turc en poste à Téhéran. Beaucoup de pages fiévreuses sont consacrées à sa relation désespérée avec Yalé, jeune femme victime de la tuberculose en même temps que deux visions nocturnes d'un Ange sont dédiées à la pianiste américaine Cathalene Crane.
Elle a beau qualifier ces pages de « journal non intime », il est clair que tout la renvoie à elle-même, à ses déchirements, à ses peurs. Comme si fuir au bout du monde n'était en fait qu'un voyage intérieur...
• Annemarie Schwarzenbach. La mort en Perse. Traduit et préfacé par Dominique Miermont. Payot, 1997, 160 pages.