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   Avec cette œuvre de Charif Majdalani c'est un peu toute l'histoire du Liban au XX° siècle qui est revisitée. Le récit se focalise sur un personnage principal, Chakib Khattar, un grand notable de Marsad, un quartier Beyrouth-Ouest. Le romancier s'intéresse à ses réactions de chef de famille et de chef de clan. A travers les péripéties familiales et les soubresauts de la vie libanaise, il campe un homme de caractère qui prétend résister aux changements pour conserver son statut de notable. Mais le vent de l'histoire est trop fort : la ténacité fait place à l'obstination et le mène à la chute, tragiquement.
La fortune de la famille reposait sur les terres, sur le patrimoine immobilier, et sur une entreprise d'importation et de découpe du marbre. Les Khattar sont des grecs-orthodoxes dans un quartier dont la démographie s'inverse : les chrétiens quittent Beyrouth-Ouest tandis que les musulmans s'y regroupent, mouvement renforcé par le flux des réfugiés palestiniens, et par la spéculation immobilière. « Marsad se trouvait du coup incluse dans une circonscription électorale où la population dominante était sunnite ». Dans ce pays, l'idée de citoyens égaux n'existe pas. D'une part, parce que des structures encore féodales organisent des relations sociales clientélistes, d'autre part du fait de la dérive communautariste. Le Liban est emporté par les troubles, par l'émergence des milices, par une guerre civile qui ne sera stoppée que par l'intervention de l'armée syrienne.
Le roman commence en 1964. L'intrigue tourne autour de fiançailles interrompues avant même d'être conclues : Simone, la fille cadette de la famille Khattar, n'épousera pas Hamid avec qui elle s'est enfuie. « La fille du notable n'avait pas fui avec un musulman de Basta, ni avec un pauvre hère sans famille, venu d'ailleurs et qui l'aurait enjôlée, elle avait simplement disparu en compagnie de Hamid, bras droit de Chakine à l'usine et fils d'Abdallah, le régisseur des biens des Khattar. » Chakib a-t-il voulu éviter une mésalliance entre une dynastie bourgeoise dont les relations comptaient Présidents et Ministres, et une famille de paysans sunnites et pauvres ? Ou bien y avait-il quelque secret de famille qui se serait opposé à un tel mariage ? Le soupçon qui naît à la lecture semble confirmé par les relations entre Chakib et Lamia, la mère de Hamid... Séduisante et déterminée, Lamia souhaitait assurer à son fils une position sociale solide... et elle y est parvenu, malgré l'échec des fiançailles de Simone et de Hamid. Le devenir du grand domaine des Khattar à Kfar Issa est ainsi le pôle rural du roman.
Le roman, tout entier dans une superbe écriture classique, concerne enfin ce thème que l'on retrouve souvent en littérature : la difficulté de la transmission de l'entreprise et du patrimoine d'une génération à la suivante. Entre fils aîné incompétent, cadet qui trahit le clan et gendres non concernés, Chakine Khattar, qui se cherche un vrai fils, aurait eu intérêt à reconnaître Hamid comme son successeur, mais tout s'y opposait : sa religion, son conservatisme et sans doute aussi son immense orgueil.
• Charif Majdalani. Le dernier seigneur de Marsad. Seuil, 2013, 248 pages.
 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #LIBAN
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