Ce roman publié en 2010 traite à la fois du couple et des relations parents-enfants dans la société indienne d'aujourd'hui, plus spécialement dans la nouvelle bourgeoisie éduquée de “l'Inde qui brille” pour reprendre l'expression d'un récent Premier ministre. Il traite aussi — comme on s'en aperçoit dans un second temps — des violences faites aux femmes et de l'élimination des petites filles surtout depuis que l'échographie y est détournée pour connaître le sexe du bébé à naître, et si c'est une fille, pousser à l'avortement.
C'est par Mîra que le roman s'amorce, la quarantaine, mariée, deux enfants. Giri son époux l'abandonne discrètement alors qu'ils étaient invités à une réception mondaine. Nous sommes à Bangalore, dans le sud de l'Inde. Giri est parti vivre avec une femme plus jeune. Mîra, qui vit dans sa chère et immense maison mauve en compagnie de sa mère et de sa grand-mère ancienne actrice, n'a rien vu venir, trop occupée qu'elle était dans son conformisme de femme de cadre cantonnée dans les mondanités. L'autre personnage-clé est le professeur Krishnamurty, — alias Jak — un spécialiste des cyclones (d'où le titre français). Il a vécu et enseigné aux Etats-Unis ; sa femme a divorcé et leur fille Smriti est retournée en Inde militer dans une ONG en faveur des femmes. Mais Smriti a eu un “accident” et Jak est rentré en Inde précipitamment pour s'occuper de sa fille. Il a rencontré Mîra à cette fameuse réception... Elle devient bientôt son assistante.
Quelle est la réaction des enfants quand les parents se séparent et que l'adulte avec qui ils vivent envisage de trouver un autre compagnon, une autre compagne. La réflexion est menée à partir des enfants de Mîra et de Krishnamurty. Ils commencent par ne pas accepter. Par exemple Smriti, avant de repartir en Inde, provoque la rupture entre son père et une femme superficielle dont elle gâche les vacances vénitiennes. Avec le temps — mais dans ce roman les indices temporels sont fugaces — le fils puis la fille de Mîra vont accepter que leur mère ait une liaison avec le professeur, et accepter d'oublier leur père (une des explications du titre anglais). Pour faire bonne mesure, Anita Nair nous explique aussi le passé de la tante âgée qui vit avec le professeur et l'aide à s'occuper de sa fille malade : elle a plaqué son mari figé dans la tradition et qui n'acceptait pas qu'elle coupe ses cheveux. Quant à Mîra, les exemples de sa mère et de sa grand-mère qui ne se sont pas remariées servent d'abord à lui faire rejeter l'idée-même de connaître un autre homme, avant que sa grand-mère, prête à retourner devant les caméras, ne la pousse à rechercher un compagnon.
Ce qui est arrivé à Smriti constitue le nœud du roman. Longtemps on sait seulement qu'elle a été violemment agressée sur une plage et qu'elle se trouve désormais dans un état quasi-comateux, troublé de hurlements. Le prétendu accident de Smriti va s'expliquer peu à peu, son père retrouvant trace des jeunes gens avec qui elle séjournait sur la côte du Tamil Nadu. Son combat en faveur des bébés-filles, pour empêcher les fœticides, s'est retourné contre elle. Les autorités n'ont pas reconnu la responsabilité d'un notable local et des brutes qui l'ont violée préférant conclure à un accident suscité par l'attitude « désinhibée » d'une fille élevée en Occident. Dans une fin ouverte, Jak confiera à Mîra : « Je dois finir ce que Smriti a commencé ».
L'intrigue est telle qu'on flirte avec le roman à l'eau de rose à plusieurs reprises, par exemple quand on découvre que Mîra a une aventure avec un jeune acteur ; il n'est autre que l'ex-petit ami qui a accompagné Smriti à la plage avant qu'elle n'aille rejoindre à Madurai une troupe de théâtre pour un spectacle militant. En fait Mîra et Jak sont attirés l'un par l'autre en un tourbillon comparable au cyclone qu'il passe pour prévoir mieux que quiconque ! Par ailleurs, contrairement à l'écriture rigoureuse et à la belle tenue des Neuf Visages du cœur, j'ai ressenti avec ce roman quelque lassitude devant les facilités et l'émiettement de la narration. Les bons sentiments ne font pas nécessairement de la bonne littérature.
• Anita Nair. Quand viennent les cyclones. Albin Michel, 2010, 390 pages.