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N’importe qui peut se trouver un jour contraint à un choix radical et tragique, en pleine responsabilité et seul, « en 1° personne ». Les personnages de ces quatre récits, surtout masculins, ont connu cette épreuve. Franceschi maîtrise l’art de la nouvelle ; dans ces textes denses et réalistes, variant les époques et les milieux, on apprécie les descriptions sans longueur, les dialogues concis, les portraits au couteau où parfois pointe l’humour. Le classique retournement de situation mène vivement à la chute, tragique mais ramassée.
Dans la débâcle de mai 1940 le sous-lieutenant Vernaud, Saint-Cyrien de vingt trois ans, refuse de déserter et tient seul face aux allemands, jusqu’à la mort la position au « carrefour 54 » comme ses supérieurs lui en avaient donné l’ordre. Le devoir d’obéissance transforme en héros hugolien ce grand lecteur d’ « Ultima Verba » : s’il n’en est resté qu’un, il a été celui-là.
D’autres personnages engagent la vie de leurs enfants, tel le vieux Flaherty qui, en décembre 1884 commande « La Providence »,  un brick de commerce. À ses côtés, quarante marins aguerris et son fils Tim. À la veille de Noël le navire est pris dans une violente tempête, Tim tombe des haubans et dérive sur un morceau de vergue appelant son père au secours. Mais le brick va couler, le second pousse Flaherty à « sacrifier une vie pour en sauver quarante ». Le commandant s’y résout, laissant périr Tim. Puis il se jette à l’eau et le rejoint dans la mort. Il a répondu assumé sa responsabilité vis-à-vis des hommes et des biens transportés. Tous seront saufs sans lui, « punition divine » pour ce commandant à qui tout avait toujours réussi.
Madeleine et Pierre-Joseph, deux résistants arrêtés dans la rafle de Novembre 1943, font connaissance dans leurs files d’attente 5 et 6 pour monter dans le train de la mort. Joseph a le coup de foudre, change de colonne avec ses deux fils et rejoint Madeleine et ses deux filles. Mais, « pour avoir voulu modifier l’ordre des choses », les officiers les punissent : ils doivent choisir quel fils et quelle fille seront séparés d’eux. Tous deux refusent d’obéir ; Madeleine se suicide, Joseph agresse un officier et est abattu. Tous deux sont restés des résistants jusqu’au bout, ni père ni mère.
Le cas extrême c’est celui de Mark Wells, lieutenant sur l’Echo Europa.  Au large de Lampedusa, il croise un bateau de réfugiés qui appellent au secours. Tout l’équipage s’y refuse sauf Wells. Consigné dans sa cabine pour insubordination, il s’en échappe, saborde les parties vitales du cargo puis quand tous périssent il saute à l’eau... Cinq ans plus tard un navigateur le trouve mourant sur une île polynésienne. Wells s’est fait le bras armé du destin, châtiant l’équipage pour son crime. Puis il est allé expier le sien dans la solitude et le dénuement. Cet  idéaliste avait toujours méprisé l’argent ou le pouvoir, mû par l’extrême exigence morale de demeurer toujours « quelqu’un de bien ».
Franceschi construit ses personnages à son image ; fortes personnalités, caractères bien trempés, tous s’engagent « en première personne du singulier » sur des valeurs, jamais selon leur intérêt personnel. Un jour le destin les frappe, la situation les dépasse, les emportant dans une inéluctable mécanique tragique. Aventurier sur le terrain de la guerre comme sur les mers, la prise de risques constitue le piment de son existence mais en pleine lucidité car un jour la corde cassera...
À lire et à méditer...
Patrice Franceschi. Première personne du singulier. Points, 2015, 196 pages. Goncourt de la nouvelle 2015.
 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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