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L'auteure de ce trépident récit de voyage dans le plus peuplé et le plus riche des pays d'Afrique est la fille de Ken Saro-Wiwa le célèbre romancier et militant du peuple ogoni assassiné — vingt ans déjà — sous la dictature d'Abacha. Noo Saro-Wiwa travaille dans l'édition en Angleterre, pays où elle a été élevée et d'où elle tient ce parfait accent british qui la classe comme touriste partout sur la terre retrouvée des ancêtres. Transwonderland, parc de loisirs déglingué près d'Ibadan, sert de métaphore au pays entier, victime de négligence et de corruption. Outre les retrouvailles avec la famille restée au Nigeria et qui réclame en vain son retour définitif, les principaux thèmes sont le ressentiment face à la corruption endémique des élus locaux et nationaux qui torpillent ce pays où le pouvoir attend tout du pétrole, l'indignation devant les ressources négligées du tourisme qu'il s'agisse de musées, de parcs naturels, d'hôtels déglingués ainsi que l'état délabré des villes et des équipements publics du pays et la manière dont les gens s'y adaptent, à la fois par le système D et la prolifération des églises concurrentes.

 
   Le périple, qui reprend partiellement un voyage effectué autrefois avec son père, mène l'auteure à Ibadan, Abuja — la capitale sans âme — , Kano, Jos, Maiduguri (Boko Haram ne sévissait pas encore), Calabar, Benin City, et Port Harcourt. L'itinéraire commence avec la métropole de Lagos découverte en danfo (minibus) et en okada (moto-taxi) dont les courses folles rendent la vie des piétons fort risquée. Entre les extrêmes de Victoria Island « le quartier le plus cher de Lagos » et de Tarkwa Bay la plage sur l'océan au ras du trafic des tankers, partout des bidonvilles s'immiscent à n'en plus finir. La métropole constitue une étonnante mosaïque pour ne pas dire un chaos fascinant :
 
« Sous les auto-ponts on faisait des portiques de lavage automatique, des stations de bus et des mosquées ponctuelles. Une porcherie s'était installée près de la voie express, des hommes se faisaient raser et coiffer sur l'herbe d'un rond-point animé, la gargote d'Ita Toyin se dressait fièrement au bord d'une vaste décharge, près du National Theatre. Des femmes vendaient des oranges à proximité des fossés remplis de vidanges d'égouts dont les boues noires, rutilantes sous le soleil, devenaient presque belles. Des colporteurs proposaient tout un bric-à-brac d'articles bizarres, convaincus qu'ils finiraient par tomber sur l'acheteur désireux d'en faire l'emplette, ici une raquette de squash, là un pèse-personne, avec deux grandes peintures à l'huile encadrées représentant des cascades, et j'essais d'imaginer un amateur pris d'un coup de cœur, s'arrêtant pour les caler dans sa voiture... »
 
   Au fil des étapes, Noo Saro-Wiwa explore l'histoire du pays. À Benin City, par exemple, elle fait la découverte de ce qu'il reste de la capitale de l'empire du Bénin dont les oba résistèrent longuement aux Anglais, tandis qu'à Calabar elle revient sur l'histoire locale de la traite des Noirs et qu'elle esquisse une histoire contemporaine du pays à partir des ressources du National Museum de Lagos où elle se retrouve « seule visiteuse ». On ne peut que recommander la lecture de ce livre qui tient du road movie, du retour vers les racines, et de la découverte professionnelle par un auteur de guide de voyages. Le charme de ce livre tient bien sûr à la personnalité de l'auteure, à la tension qui s'installe entre sa déception devant la situation matérielle qu'elle redécouvre et son admiration pour les paysages naturels, tension dont l'écriture se fait remarquablement le miroir. Peut-être même est-ce l'unique récit de voyage récent au Nigeria disponible en français...
 
• Noo Saro-Wiwa. Transwonderland. Retour au Nigeria. Traduit par Françoise Pertat. Hoëbeke, 2013, 283 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE AFRICAINE, #NIGERIA, #VOYAGES
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