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La Fin d'un roman de famille est le premier roman du hongrois Péter Nádas ; il vient d'être réédité. Écrit entre 1969 et 1972, il se présente comme le monologue d'un enfant de huit ou dix ans élevé par ses grands-parents.

 

Le thème de l'enfance se dévoile en premier. L'enfant joue dans le jardin avec ses petits voisins, Gabor et sa sœur : « J'étais le papa, Eva la maman ». Tout de suite après, vient l'importance pour lui des grands-parents : « Grand-mère, donne moi des bonbons ! » et : « Grand-père m'avait souvent raconté des histoires ». D'après le monologue de l'enfant, il apparaît que le grand-père est mort en premier et que le décès de la grand-mère clôt un épisode, celui de l'enfance heureuse. Le père de l'enfant entre dans le récit de façon épisodique et toujours un peu mystérieuse : il téléphone ou pas, il se montre à la fenêtre, on voit un képi ; il vient prendre un bain et faire laver ses vêtements crasseux. Un procès politique met fin à cette série d'apparitions ; sans doute est-il arrêté, pris dans une histoire d'espionnage avec des agents yougoslaves, — la déposition de « Feri » est diffusée à la radio — puis à la mort de la grand-mère, l'enfant se retrouve placé dans une sinistre institution qui rassemble d'autres jeunes issus de familles d'opposants. On pense à un procès stalinien : mais rien ne permet d'échafauder une interprétation beaucoup plus précise. La mère de l'enfant est absente : peut-être faut il en déduire une disparition en rapport avec la déportation des juifs hongrois. En effet, si le grand-père, d'origine juive, a épousé une catholique — la grand-mère emmène l'enfant à l'église — il est dit que le père a épousé une juive.
 
La judéité dans cette histoire prend deux formes.
Elle caractérise la plupart des histoires que Simon, le grand-père, raconte à son petit-fils et qui constituent une sorte d'héritage à transmettre. Outre deux ou trois anecdotes sur la grande guerre dans l'armée austro-hongroise, ses récits couvrent l'histoire juive depuis le temps où deux Simon, présentés comme de lointains ancêtres, vivaient à Jérusalem quand un prophète est venu pour la Pâque, jusqu'à l'empire danubien au XIXe siècle, en passant par l'Espagne wisigothique conquise par les Arabes, et les places successives de la diaspora médiévale et moderne. Ces anecdotes, le grand-père les présente comme des phases successives, de la beauté, de l'intelligence, puis de la souffrance et de la ruse jusqu'à la fin de l'histoire des descendants des antiques Simon.
 
L'autre est le thème récurrent du poisson que le grand-mère achète pour le traditionnel “gefilte fisch”. « Un étrange bruit sourd parvient de la salle de bains. C'est le poisson qui se débat sur le carrelage sous le lavabo ». Achetée vivante, la carpe est transférée de la baignoire au lavabo quand il faut céder la place au bain du père ; l'enfant évoque cela à plusieurs reprises. Ce qui montre en passant comment la chronologie linéaire est retravaillée par l'écrivain ; elle se retrouve en mille-feuilles dans les souvenirs du jeune garçon.
 
De même, la mort du grand-père constitue aussi une autre vision récurrente avant d'être remplacée par la mort de la grand-mère. Quelques scènes avec les petits voisins mises à part, la solitude de l'enfant s'affirme largement. Il faut attendre l'internat pour qu'il ait à fréquenter des garçons de son âge, mais c'est pour tomber dans un temps de cauchemars : « Je me retrouvais au fond de quelque chose de sombre, près de racines molles. Non ». Un “non” qui peut signifier un refus politique...
 
Avec cette écriture non linéaire, pleine de retours sur les scènes marquantes (la mort du grand-père, le passage du père, le poisson dans le lavabo, la voisine nue...) La fin d'un roman de famille doit toucher un public exigeant et prêt à quelques efforts pour faire connaissance avec un grand auteur.
 
 
Péter Nádas : La Fin d'un roman de famille. Traduit du hongrois par Georges Kassai. Le Bruit du Temps, 2014, 204 pages.
 

 

Tag(s) : #EUROPE CENTRALE ET BALKANIQUE, #HONGRIE
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