D'un séjour à Florence de 2011 à 2014, Yannick Haenel organise le récit intermittent et très personnel à base de visites culturelles, d'errances en ville, de balades dans la campagne toscane et de réflexions fondées sur ses lectures, de Georges Bataille notamment.
La compagne de l'écrivain venant de lire l'Énéide, « Tu te souviens, dit-elle, de ce moment où Énée, après avoir abandonné Troie en flammes, fait naufrage : il débarque sur une île et ses premiers mots sont pour demander son chemin. Il dit “Italiam quaero”, c'est-à-dire “Je cherche l'Italie”. Ça ferait un bon titre, non ? » Pas de doute, le titre convient parfaitement à cette quête d'Italie qui cache l'autre quête de l'auteur venu « Faire le point » tandis qu'il écrit Les Renards pâles. Il cherche un point où prendre appui, un point de repère pour survivre au naufrage dont l'Italie de Berlusconi lui renvoie l'image nauséeuse, « un pays ruiné, où rien ne semble tenir debout, à part ses cathédrales » et comme il ne craint pas l'excès comparatif, lui vient à l'esprit l'Enfer de Dante.
Un amoureux de l'art de la Renaissance n'aura aucune raison de contredire Yannick Haenel dans ses enthousiasmes pour le Baptistère de Florence, pour la porte du Paradis de Ghiberti (ci-dessus), qui l'absorbe au début de son séjour et illumine le chapitre 4. Du monument, il aime « sa forme trapue de colombier mystique » et se pâme pour l'inscription circulaire de la petite rosace du dallage : « En giro torte sol ciclos et rotor igne » — le plus génial palindrome de l'histoire de l'art. Le bonheur du cercle.
La contemplation de l'Annonciation de Fra Angelico, au couvent San Marco, un début de matinée, est peut-être le meilleur de ce récit d'aventures dans la culture italienne. « Un ami historien de l'art, Neville Rowley » — à qui l'on doit le Fra Angelico de la collection Découvertes — « a remarqué que contrairement à d'autres Annonciations, celle du corridor de San Marco ne représente pas le rayon divin qui touche la Vierge ». Le chapitre 20 contient le récit de l'expérience vécue ; la lumière du jour entre par la fenêtre et éclaire peu à peu la célèbre fresque : « Voici que les ailes de l'Ange sortent de l'ombre... » et bientôt cette lumière divine illumine la Vierge... « Alors on voit bien que la fresque est composée en fonction de cette arrivée de lumière ».
Des fresques, le narrateur en a contemplé d'autres, puisque ces années passées en Toscane lui en donnent le temps : « Certains matins, à peine levé, je courais voir et revoir ce plein azur parcouru d'or qui monte à la tête dans les chapelles de Florence : la Brancacci aux Carmine, la Sassetti à Santa Trinita, la Tornabuoni à Santa Maria Novella, où les fresques de Masaccio, Filippo Lippi et Ghirlandajo tiennent debout comme de grands morceaux de ciel qui flambent... »
Hors de Florence, les péripéties du séjour passent aussi par le sanctuaire de la Verna cher à François d'Assise — pauvreté et solitude en 1224 deux ans avant sa mort —, par quelques escapades romaines pour savourer les toiles du Caravage, ou plus loin dans le Mezzogiorno pour admirer l'octogone parfait, le château de Frédéric II, le contemporain de François d'Assise, les deux plus grands hommes de leur siècle.
Ceci dit, le style de ce récit n'enthousiasme pas toujours, inégal, parfois surchargé de verbes être, tandis que de brillantes formules réjouissent aussi le lecteur, sans compter les nombreuses références culturelles semées au fil des pages.
• Yannick Haenel. Je cherche l'Italie. Gallimard, coll. L'Infini. 2015, 199 pages.