Avec ce titre plus aguicheur que “la fin de l'âge du bronze récent” l'ouvrage de l'historien de l'université George Washington nous présente les empires qui guerroyaient et commerçaient en Méditerranée orientale dans la seconde moitié du IIe millénaire, et leur chute à peu près simultanée.
Des inscriptions des pharaons Merneptah et Ramsès III mettent en cause les Peuples de la Mer, à l'assaut de l'Égypte en 1207 et 1177 avant notre ère. Les inscriptions du temple funéraire de Ramsès III à Medinet Habou claironnent l'ampleur du succès pharaonique : « Ceux qui ont approché de ma frontière, leur semence n'est plus, leurs cœurs et leur ba ont cessé d'exister pour le temps éternel et infini. Quant à ceux qui s'étaient rassemblés sur la Très-Verte, une flamme dévorante les arrêta devant les bouches du fleuve, tandis qu'un mur de fer les encerclait sur le rivage ; ils furent frappés, détruits, abattus sur le bord du fleuve, massacrés, entassés en pyramides de la queue à la tête ; leurs navires et leurs biens sombrèrent... » Et une autre inscription, à Karnak, énumère les vaincus : « Eqwesh, Teresh, Lukka, Shardanes, Shekelesh, habitants du Nord venant de toutes les terres », captifs et tués dont les mains ont été tranchées. Après tant de victoires pourtant, l'Égypte devint un empire de seconde zone tandis que les autres empires étaient pulvérisés en petites cités-États.
Dans une synthèse divisée en quatre chapitres pour chacun des quatre derniers siècles de l'âge du bronze récent, Eric H Cline montre la fortune de ces empires puissants. Venus du pays de Canaan, les Hyksos avaient mis fin au Moyen Empire et dominé l'Egypte de 1720 à 1550 quand Kamosé et son frère Ahmosis les mirent à la porte, réunifiant l'Égypte, et fondant la XVIIIe dynastie. Du temps d'Hatshepsout et de Thoutmosis III l'empire commerçait avec la Phénicie, le royaume de Punt, et gagnait la bataille de Megiddo (en 1479) stoppant l'influence du royaume de Mitanni. À cette époque, plus au nord, les Hittites dominaient l'Anatolie depuis Hattusa leur capitale fortifiée où l'on a trouvé de nombreuses tablettes en écriture cunéiforme. Les tentatives hittites d'expansion vers l'ouest se heurtèrent aux alliés du roi d'Ahhiyawa c'est-à-dire aux Mycéniens ; plus tard la guerre de Troie — le plus souvent située entre 1250 et 1175—, et à supposer qu'elle ait eu lieu, en fournirait l'exemple.
Au XIVe siècle, le commerce semble s'intensifier. La Crète minoenne servait d'interface entre monde grec, Égypte et Proche-Orient. Aménophis III, disparu en 1353, et son fils Akhenaton avaient des relations avec tous les pays de la région selon les tablettes d'argile écrite en akkadien que les archéologues ont extraites des archives d'El-Amarna. Ces lettres témoignent de relations en réseau sur un modèle quasiment familial ; les souverains se donnent du « père » ou et du « fils » ou du « frère » et d'ailleurs quelques mariages ont resserré ces réseaux. Par exemple, le roi Tushratta de Mitanni, dont la sœur Kelu-Hepa avait épousé Aménophis III lui donnera plus tard en mariage sa propre fille Tadu-Hepu faisant du pharaon à la fois son beau-frère et son gendre ! Les échanges commerciaux se confondent ainsi avec des cadeaux entre dynasties. Le roi d'Egypte se voit demander l'or de Nubie par le roi de Babylone.
L'étude du XIIIe siècle se focalise sur un naufrage au large des côtes anatoliennes, sur le site d'Ulu Burun. Gisant par 40 à 60 mètres de profondeur, l'épave longuement étudiée depuis 1982, permet de juger des relations marchandes de l'âge du bronze. Le navire crétois de quinze mètres de long transportait des marchandises assez exotiques vers un port grec, Pylos par exemple. La cargaison comprenait du cuivre de Chypre, de l'étain d'Afghanistan, des rondins d'ébène de Nubie, deux cent barres de verre brut de Mésopotamie, des jarres cananéennes d'essence térébenthine, des épices, des lapis-lazuli. Un scarabée égyptien en or massif, des céramiques et l'analyse du bois de la coque permettent de dater l'évènement au début du XIIIe siècle : le navire d'Ulu Burun constitue comme un microcosme du commerce international de l'époque. Au cours de ce même siècle aurait eu lieu l'exode des Hébreux d'Égypte.
Le XIIe siècle marque la fin d'une époque d'empires connectés. La carte des sites détruits vers 1200 av. J.-C. (figure 10 page 131) est impressionnante : en Grèce, Anatolie, Syrie, Levant, une cinquantaine de sites. L'hypothèse d'une destruction par les Peuples de la Mer est évoquée un peu partout mais certaine presque nulle part hors du delta du Nil. Dans le pays hittite, Hattusa et plusieurs autres cités éloignées de la mer furent détruites par les raids des Kashka, leurs voisins orientaux. Dans plusieurs cas, des séismes eurent une part de responsabilité, comme à Mycènes, où une seconde destruction intervint vers 1190 « pour une raison inconnue » laissant des traces d'incendies. Le palais de Pylos fut également détruit en 1180 par un incendie. Souvent demeurent des signes de combat, avec des pointe de flèche en bronze fichés dans les murs tandis que des biens de valeur ont été cachés dans le sol, comme à Hala Sultan Tekke à Chypre. En Égypte, la « conspiration du harem » mit un terme au règne de Ramsès III (1184-1155) ; il mourut égorgé selon l'autopsie pratiquée en 2012.
Les Peuples de la Mer, venus de différents endroits du bassin méditerranéen, ont à coup sûr combattu contre la basse Egypte, mais pour le reste, leur rôle est incertain. L'effondrement vient donc de tout un ensemble de facteurs entremêlés, y compris le changement climatique (sécheresse), les famines, les révoltes intérieures, etc. Ces civilisations liées entre elles par des flux commerciaux, auraient été victimes d'un effondrement systémique — point de vue défendu par Colin Renfrew dès 1979. La disparition de l'administration centrale de ces royaumes et empires empêcha le relèvement du système et laissa la place à des cités-états plus modestes. L'auteur compare finalement cette chute des civilisations du bronze récent à la chute de l'empire romain qui ne s'expliqua pas, elle non plus, par un facteur unique.
L'auteur s'efforce de retenir son public en recourant à des anecdotes et des comparaisons. Une anecdote parmi d'autres : après la mort de Toutankhamon, Ânkhesenamon, sa jeune veuve (qui était aussi sa sœur) réclama un mari au roi hittite Suppiluliuma Ier ; le mariage n'eut pas lieu : le prince hittite Zannanza tomba dans une embuscade — vers 1322 — ce qui engendra la guerre entre les deux empires au lieu d'un mariage mondain ; de plus, la peste se propagea et Suppiluliuma en mourut.
La comparaison entre la crise actuelle du Proche orient et celle d'il y a plus de trois millénaires capte l'attention du lecteur dès l'incipit.
• Eric H. Cline. 1177 avant J.-C. — Le jour où la civilisation s'est effondrée. Traduit par Philippe Pignarre. La Découverte, 2015,260 p. (Princeton University Press, 2014).