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Il s'agit d'un roman longtemps victime de la censure franquiste. Est-ce l'unique motif pour s'y intéresser ? Non bien sûr. Car ce premier roman, comme beaucoup de ceux qui suivront, se déroule à travers Barcelone, dans les années 1930 et c'est un hymne à la capitale catalane. Surtout, ce roman réunit un petit groupe de personnages dont les espoirs, les passions, les idéaux, la vie même vont sombrer pour une raison ou une autre quand éclatera la guerre civile, devenant ainsi les « Ombres du passé », d'un passé qui signifiait aussi la République.

Nora et Paulina : deux belles figures féminines dominent ce roman, l'une plutôt solaire, l'autre plus sombre, mélancolique. Paulina, qui aura vingt-trois à la fin de la guerre, est la superbe créature qui fait chavirer les cœurs : de l'étudiant Enrique Moriel, de son ami peintre Esteban, de l'officier Miguel de Latorre, du riche mécène Ismael Leonardo — qui l'emploie quoique encore mineure pour tenir compagnie à sa fille Nora, de peu son aînée. Nora justement, brune d'une beauté idéale, est l'autre pôle magnétique qui attire Enrique Moriel recruté par le père de la demoiselle pour l'accompagner dans ses nobles pensées et des errances urbaines — au barrio Gotico, au barrio Chino — qui inquiètent son géniteur. Plus tard, quand Paulina attendra le retour du guerrier, elle s'imaginera elle aussi des errances avec lui dans les quartiers anciens ; ou bien « … ils prendraient la rue de Las Cortes pour se rendre près de la Marina, là où elle avait travaillé. Et ils s'embrasseraient en pleine rue devant tout le monde, à l'entrée du vieux restaurant... » Mais ce sont des rêves.

Dans son souci de désarmer la censure franquiste, González Ledesma a — sans doute inutilement — pris le parti d'éviter les scènes un peu lestes. Ses personnages brûlent d'un amour le plus souvent platonique. Pour Nora et Paulina, les années passent sans que leurs petits amis ne leur fassent connaître la joie de l'amour physique. En revanche González Ledesma n'a pas été avare de scènes mélodramatiques. Si Paulina épouse Miguel de Latorre, c'est sous l'effet de la pression familiale des parents de l'officier, et des conseils d'Ismael Leonardo qui veut la voir mariée pour l'éloigner d'Enrique et de ses propres tentations. Mais Miguel est impuissant !... et il se fera tuer à la veille de l'insurrection phalangiste, stupidement écrasé dans la rue par une vulgaire charrette ! Ce n'est pas digne d'un officier patriote qui allait rejoindre le camp des insurgés : de quoi provoquer la censure franquiste.

Non content d'en rajouter dans le romantisme larmoyant, le jeune auteur (il avait vingt ans à la rédaction de son premier roman), n'oublie pas de se montrer aussi comme « rouge » et donc se moquer de l'Eglise et de l'Armée. Dans les quelques semaines précédant la guerre, Nora s'est brûlée accidentellement dans sa robe de soie : le feu a pris tandis qu'elle priait la Vierge trop très des cierges allumés. Brûlures graves. Séjour à l'hôpital. Et le sentiment d'avoir raté sa vie faute d'avoir succombé aux feux de l'amour quand elle était attirante. Quelques semaines plus tard, elle mourra d'une défaillance cardiaque dans les bras d'Enrique, dans la rue, sous la pluie, tristement. Ismael son père, qui s'était promis à Dieu si elle survivait, tombera au début de l'insurrection pris dans une fusillade aux abords d'une caserne, alors qu'il regagnait son couvent.

Des six personnages principaux, trois sont décédés à l'été 36 et devenus des « ombres du passé ». Quand la guerre civile s'achèvera, à supposer que les trois autres soient restés en vie, que seront-ils devenus ? Il se peut qu'aucun d'eux n'ait accompli les promesses de l'avant-guerre... Je ne cacherai pas que ce roman est souvent marqué par des épisodes d'une grande tristesse mais il séduira les lecteurs et lectrices avides d'analyse psychologique, même si certains passages peuvent sembler un peu datés. Francisco González Ledesma est décédé en mars 2015.

 

 • Francisco González Ledesma. Ombres du passé. Traduit par Jean-Jacques Fleury, L'Atalante, 2005 (1947), 421 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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